Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/209

Cette page n’a pas encore été corrigée

L’Amant de la nature me regarda sévèrement :

— Des lilas ?… Vous vous moquez de moi… fit-il.

Puis il haussa les épaules… puis il se mit à rire :

— Des lilas ?… C’est idiot !… ah ! ah ! ah !… Et c’est à moi que… Mais, mon cher, vous ne savez donc pas qu’il y a un lilas qui porte mon nom ?… Il y a le lilas André Theuriet, mon cher… un lilas à fleurs doubles…

Je crois bien que M. André Theuriet en a ri longtemps. Et j’en ris encore, moi aussi, car j’ai lu souvent que, lorsque l’Académie travaille au dictionnaire, et qu’elle discute sur un nom de plante, elle dit :

— Ça regarde Theuriet… laissons faire Theuriet… c’est notre botaniste…



Les haies aussi vous arrêtent… On sourit aux aubépines, aux églantines. Elles vous rappellent mille petits événements puérils et charmants, des visages déjà lointains, des noms depuis longtemps oubliés. On s’attendrit… Parfois, pour fleurir sa marche, on les cueille…

De l’auto, c’est à peine si on a le loisir de comparer entre eux les feuillages différents. Et l’on ne voit pas les fleurs des haies… et l’on ne se souvient pas des histoires de M. André Theuriet… Ces arbres qui fuient, ce sont des arbres, sans plus… et ils galopent, galopent… Qu’importe qu’ils s’appellent chêne, acacia, orme ou platane ? Ils galopent, voilà tout… Ils accourent vers nous, se précipitent vers nous, dans un vertige. On dirait – tellement ils ont peur et ne savent plus ce qu’ils font – qu’ils vont entrer dans la voiture et la traverser. Ils ont tellement peur qu’ils ne sont même plus de la matière : ils sont devenus des reflets, des ombres, et