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Ah ! il avait bien sa patrie à la semelle de ses sabots, celui-là !

Il nous fallut faire demi-tour et regagner la frontière pour nous mettre en règle avec la douane, que j’avais si lestement brûlée. On ne badine pas avec la douane en Hollande.

Je n’en étais que plus impatient de franchir cette zone sans caractère et de revoir le pays clair et uni, conquis sur l’eau, c’est-à-dire sur l’élément le plus fuyant, le plus cruellement impitoyable ; impatient de retrouver ces villages vernis et fleuris, réfugiés sur les digues, comme des inondés qui se pressent sur les hauts talus des champs, et ces villes lustrées qui débordent d’abondance, et l’immensité translucide de ces ciels mouvants, et ce printemps si vert, avec son soleil pâle et son éclatante passementerie de tulipes.

J’eus beaucoup de peine à faire comprendre au douanier ma distraction. C’était un colosse, avec une poitrine plate et un ventre proéminent. Il portait un haut képi bleu, mathématiquement cylindrique. Fort de ce képi, il m’expliqua que les frontières étaient des frontières, qu’on n’entrait pas en Hollande comme dans un moulin. Sans aucun respect pour les recommandations, pour tous les papiers réglementaires dont j’étais muni, il fouilla la voiture de fond en comble, me fit déposer une grosse somme d’argent. Finalement, en roulant de gros yeux, il déclara qu’il en référerait au ministre des Digues.

Le ministre des Digues !… Quel délicieux pays !…

J’appris qu’un Américain, qui s’était présenté à la douane sans papiers, était retenu à l’auberge du village et gardé comme un prisonnier. On avait consigné sa machine. Depuis six jours, se saoûlant et dormant, dormant