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qu’il y ait des bateaux, il faut tout un mécanisme financier et commercial qui manque douloureusement à Flessingue… Aussi, l’herbe pousse autour des bassins, l’herbe pousse sur le môle. Les grues, aux longs bras inemployés, se rouillent… Et les docks sont vides… En vain les phares fouillent la mer, et les pilotes y font la chasse… En vain, sitôt que paraît au large un mât, une volute de fumée, une forme grise, on s’apprête… Et l’espoir, mille fois déçu, renaît… Toute la ville accourt sur le môle… On escalade joyeusement les marches de pierre… On braque des lorgnettes, on agite des mouchoirs. On crie :

— Cette fois, c’est pour Flessingue !

— Anvers est perdu ! C’est bien pour Flessingue…

— Vive Flessingue !

— À bas Anvers !…

Le navire approche, s’engage dans la passe :

— Le voilà !… le voilà !

— Je vous dis que c’est pour Flessingue.

Mais non… Le navire a passé… C’est toujours pour Anvers…

Les navires ont l’air de se moquer de ces foules entassées sur le môle de ce port maudit, où il n’entre guère que le petit bateau de Breschens, qui amène, deux fois par semaine, les touristes étrangers qui viennent visiter la Zélande, les parcs de Goès, le marché de Middelbourg et ses belles filles rieuses, à la coiffe dorée, aux bras trop rouges…

En haut du môle, dominant la mer et gardant l’Escaut, le superbe amiral Ruyter, en bronze, ne commande plus qu’à des souvenirs… Il a l’air de se dire, mélancoliquement :

— Ah ! si j’avais encore ma flotte, qui défit si bien les Français !…