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Près d’elle, un soir de mélancolie sinistre, j’essayais d’évoquer son pays, les sanglants mystères de la brousse, les rudes chemins semés d’épines où les amazones courent, pieds nus, pour s’entraîner à la douleur, les plaines toutes rouges, les maisons de boue rose, les palais et les temples avec leurs toits plats, pavés de crânes humains. Mais c’était très difficile. Curieuse, indiscrète et bavarde, elle ne me laissait pas un instant de répit… Elle me racontait toutes sortes d’histoires ridicules que, d’ailleurs, j’avais peine à suivre et à comprendre. Des souvenirs de Paris, surtout, tantôt puérils, tantôt obscènes, des attrapades, des batteries avec ses camarades de prostitution… Enfin, elle parla de son pays pour m’en décrire, comme elle pouvait, les splendeurs regrettées… C’était une nuit d’été, étouffante… La fenêtre était ouverte… j’entendais, tandis qu’elle parlait, des musiques bizarrement ululantes, qui venaient d’un taudis voisin…

De tout son verbiage inutile, sans couleur, sans accent, sans imprévu, je n’ai retenu que ceci, que je traduis, ou plutôt que je commente fidèlement :

— Vous ne pouvez vous faire une idée de ce qu’est le palais de notre grand roi, à Kotonou… Ce palais est d’une beauté inouïe, et tous vos monuments, à côté de lui, ne sont que de misérables cahutes… Il a de grands murs épais, tout roses. Presque pas de fenêtres. On y pénètre, par une porte basse, en demi-cercle, que gardent des guerrières, effrayamment tatouées… Ce qu’il a surtout de remarquable, c’est le toit… un toit plat entièrement couvert, ou mieux, entièrement pavé de têtes coupées… C’est un travail minutieux, très difficile… Il y faut d’habiles artistes qui sachent arranger ces têtes comme de la marqueterie, comme de la mosaïque… Le Roi, qui est lui-même un artiste et qui possède