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n’eût pas été ridicule et glacé devant un si affreux exemple du malheur humain ? Le vieux juif ne me demandait ni une consolation, ni une pitié… Il ne me demandait rien ; il ne me demandait rien que de me taire…

À la fin, je le vis rougir, baisser la tête, la détourner… Il avait honte de ne pouvoir pleurer, peut-être, de ne pouvoir plus jamais pleurer… Des sanglots m’étreignaient la gorge, des larmes me montaient aux yeux.

Et pour qu’il ne vît pas mes larmes, moi aussi je me détournai…



Prostitution.


En longeant les boulevards — boulevards encombrés, trépidants — que sont ces quais, je me suis rappelé le port d’Anvers, il y a une trentaine d’années, les ruelles tortueuses, où la prostitution, en chemise rose, en jupons étoilés, vivait comme au Havre, à Marseille, à Toulon, sur le pas des portes. De grosses femmes hébétées et fardées, une fleur de papier dans les cheveux, attendaient le client, assises sur des chaises, ou bien dormassaient, le menton appuyé sur leurs bras nus… Je me suis rappelé la difficulté d’accéder jusqu’aux bassins, le défaut d’air, de lumière de ces bouges, leur désordre puant, la misère et la saleté.

À cette époque, ce n’était déjà plus les splendeurs orientales du Rideck, que je n’ai pas connues, dont Anvers fut si fier, dont quelques vieux Anversois m’ont parlé, avec de lyriques enthousiasmes…

— Tout s’en va, monsieur… Hélas ! tout s’en va…