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Nous ne parlions pas… M. Schwab fumait avec effort un de ces détestables cigares, comme n’en fument que les milliardaires… Et moi, transporté dans ce décor nocturne du moyen âge, il me semblait que j’étais loin de tout, loin des aciers et des rois de l’acier… si loin, si loin, si loin !

Mais M. Schwab n’avait pas quitté le siècle, lui, ni l’Amérique, ni même l’avenue de la Grande-Armée… Il s’acharnait à tirer sur son cigare qui laissait une affreuse odeur, derrière lui… Et cela faisait exactement le bruit que font les carpes dans un bassin, quand elles viennent respirer, le museau hors de l’eau, l’air des beaux soirs d’été. Je l’entendais, dans l’intervalle de ces bruits, qui disait :

— Ce petit Charron… Hein ? C’est un gaillard !… Il sait ce que c’est que l’acier…

Deux femmes, en longues mantes noires, passèrent près de nous, avec des pas feutrés, silencieuses comme des vols de chauves-souris… D’où venaient-elles ?… Où allaient-elles ?… Était-ce même des femmes ?… N’était-ce pas plutôt des âmes, des âmes anciennes, les âmes nocturnes de tout ce passé ?… Je vis leurs manteaux se fondre dans la nuit…

M. Schwab ne les avait pas regardées… Il poursuivait :

— Vous savez… en Amérique… ce petit Charron, il serait roi aussi… roi de l’automobile…

Et alors, au loin, très loin, ce fut comme un son de cloche, un tout petit son de cloche, d’un timbre unique,