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Alors il leva vers moi ses yeux, et me sourit, d’un sourire hébété…, mais sa main restait molle et froide dans la mienne, comme la main d’un mort… Il ne la retira que pour tracer, par terre, avec la pointe de son parapluie en loques, le plan de la maison où il s’était réfugié.

La façade s’élevait sur la rue ; au milieu s’ouvrait la porte cochère, épaisse, massive, avec de lourdes pattes et de gros clous de fer… De chaque côté, un bâtiment perpendiculaire à la façade limitait la cour dont le quatrième côté était fermé par un jardin. De par où que l’on sortît, c’était s’exposer à une mort certaine.

Dans la maison, habitaient une quarantaine de pauvres gens, qui mirent leurs provisions en commun… Mais, la première fois qu’une femme alla chercher de l’eau au puits, qui était au fond de la cour, elle tomba sous les balles… Dans les maisons voisines aussi, les puits étaient interdits et gardés par des sentinelles… Les malheureux connurent les tortures de la soif… Par exemple, ils souffraient moins de la faim… On les autorisait à manger… Vers le cinquième jour, on put espérer que le calme allait renaître… Les soldats avaient dû quitter le jardin… on n’en voyait plus autour des puits. En ville, la fusillade s’apaisait.

— Boire, mossié !… Boire, boire !

Ils étaient ivres de soif ; ils étaient fous de soif…

— Boire !… Boire !

Deux hommes eurent le courage de s’avancer, avec des seaux, jusqu’à la margelle du puits. Toutes les faces étaient tendues vers eux, dans un ravissement d’espoir… Ils accrochèrent les seaux. Le bruit de la chaîne qui descendait était une musique…

— Nous l’écoutions descendre… descendre… Ach !