Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

les rues pleines de soldats, pleines de bandes de pillards. Des cosaques fouaillant les foules avec leur nagaïka, plus terrible que le fer des sabres et la baïonnette des fusils… On annonçait partout le « pogrome ». Deux mois, il avait attendu, dans les transes. Il ne vivait plus… Non qu’il eût peur pour lui. C’est à cause de la petite Sonia qu’il tremblait… Arrivait-il des soldats ? Il tremblait. À chaque attentat, il tremblait… Un bruit inaccoutumé dans la rue, une porte poussée trop violemment… des pas, dans la nuit… il tremblait… Dès qu’on l’envoyait en ville, il courait à la maison, – un sale taudis, où il laissait Sonia, à la garde d’une voisine, la veuve d’un sergent de ville tué par les rouges… Enfin, les nouvelles sinistres se précisèrent… Un soir, il apprenait à l’hôtel, que la ville était fermée.

— Alors, voilà… Encore une fois…

Ce soir-là, dans la grande salle du restaurant, des voyageurs assemblés se désolaient de ne pouvoir partir. Ils se rassuraient pourtant, en voyant, à une table, boire et causer tranquillement quatre officiers de dragons, des « mossié » de Pétersbourg, des officiers de la garde, dont l’un, le plus jeune, était, disait-on, un grand-duc, un cousin de l’Empereur.

Soudain, une détonation, un coup de revolver, fit taire toutes les conversations… Et ce fut dans un grand silence angoissant que, la minute d’après, éclata le crépitement d’une fusillade, qui paraissait lui répondre. Les officiers continuaient de boire, de causer, comme si rien ne se fût produit… À leur table, à l’écart, ils mêlaient leurs têtes… Aux autres tables, des gens anxieux les désignaient. Quelqu’un osa leur adresser la parole… Ils répondirent poliment, par des gestes évasifs, en gens qui ne savent rien. Aucune provocation, aucune