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les ténèbres, ils entendaient le pas des soldats résonner sur les marches de l’escalier. Des clameurs… des coups sourds…

— Ouvrez !… Ouvrez !

Et la porte, que le patron avait barricadée, céda sous l’effort des crosses de fusil… Un sous-officier brandissait une lanterne… Des soldats se précipitèrent qui hurlaient comme des sauvages… Le gentilhomme criait qu’on ne pouvait pas tuer, comme ça, des créatures humaines. Il s’était fait reconnaître, réussissait à glisser un billet de cent roubles dans la main du sous-officier qui l’emmena. Et, à ce moment, pendant que des soldats tentaient d’enfoncer le coffre-fort, le vieux avait senti, dans son cou, la pointe d’une baïonnette.

Il écarta son foulard, pour me montrer la cicatrice.

— Pourquoi, jé suis pas mort ?… Ach ! pourquoi ? Ces dragonns, mossié, et ces gendarmes… (il prononçait djandarmms)… Ach ! c’est pire que des animaux féroces… On les saoûle, Dieu sait avec quoi… Et alors ils se jettent sur les femmes… ils se jettent sur les enfants… Ils ne peuvent même plus distinguer un juif d’une autre personne, ni une femme d’un jeune garçon… C’est affreux, mossié… Et toujours tuant, trouant, ils rient tellément !…

À l’hôpital, il avait appris que ses deux fils avaient été fusillés, dans la gare même, par les troupes mandées pour aider au massacre… Son beau-frère le rabbin avait été arraché de chez lui… On l’avait conduit en prison… Depuis, il n’avait jamais eu de ses nouvelles.

— Là-bas… mossié… là-bas… dans la neige… dans la mine !…

Il apprit aussi, quelque temps après, que sa fille, la pauvre Sarah, on l’avait retrouvée, sur sa voiturette, morte parmi des légumes, des fruits écrasés, et qu’ils avaient