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ambitionnent pas hospitalier, mais où ils puissent s’affranchir, un peu, du mépris qui les suit, et rompre les chaînes de cet affreux boulet d’infamie, qu’ils traînent partout… J’en ai suivi une troupe en sombres guenilles, qu’aucun spectacle ne laissait indifférents, et qui gesticulaient avec vivacité… Malgré leur détresse, on devinait en eux un amour de la vie, une intelligence de la vie, quelque chose d’ardent, de fort, de tenace qu’on ne voit presque jamais au visage des autres hommes… On sentait vraiment, rien qu’à les considérer, tout ce qu’on détruit bêtement d’énergie utile, de travail ingénieux, de progrès, en les massacrant, dans les pays barbares, comme la Russie, en les boycottant, dans les pays civilisés, comme la France.

Et je me disais :

— C’est douloureux et absurde, sans doute ; cela étreint le cœur et confond la raison… Mais qu’y faire ? Le juif pauvre paie pour le juif riche… le juif ostentatoire, insolent, voluptueux, conquérant, qui, de plus en plus, perd toutes les vertus anciennes de la race… Ce n’est même plus sous son nom, dont il a honte et qu’il renie, c’est maintenant, sous des noms d’emprunt, des noms ronflants et qui n’ont pas d’odeur, qu’il travaille à la dépossession, à la ruine des autres… Il met la main sur tout, il marche sur tout, piétine sur tout. Dès qu’il s’installe quelque part, ce n’est pas seulement pour s’y faire une place, ce qui serait légitime, c’est pour en chasser tout le monde… Il a inventé des philosophies, des morales, où les vertus les plus indispensables à l’homme, la conscience, la foi à la parole donnée, sont bafouées et traitées de préjugés et de sottises… « Je me fous de tout », telle est sa devise… On le déteste, mais on le redoute aussi, car, dans une société uniquement fondée sur la puissance de l’argent, son argent le protège.