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des vitesses, celle du frein, la pédale d’embrayage, jusqu’à soulever les ouvertures du capot. Bientôt, on ne distingue plus les têtes confondues, on ne voit que des ondulations, des remous, une surface mouvante, houleuse, d’où s’élèvent des murmures…

Brossette a fort à faire. Je crains qu’il ne laisse échapper quelque parole trop vive, quelque geste inopportun. Et alors que va-t-il arriver ? On ne sait jamais avec les foules, plus impressionnables, plus nerveuses, plus folles que les femmes. Lui-même, autant que sa machine, est l’objet de la curiosité générale. Comme le vent était froid, ce matin, il a endossé sa peau de loup. Et cette peau de loup, sur le dos d’un homme, étonne prodigieusement. Les uns rient et se moquent, les autres se scandalisent, d’autres encore ont presque peur. On n’a jamais vu une créature humaine habillée comme une bête… Tous, ils veulent tâter la peau, pour voir si elle est vivante, passer leurs mains sur les poils, pour voir si vraiment ces poils sont bien les poils de cet homme étrange et fabuleux… Un loustic, au milieu des rires, demande à Brossette s’il mange des vaches et des moutons vivants, et pourquoi il ne marche pas à quatre pattes, comme un chien, au lieu de faire le beau, sur deux, comme un homme… Ah ! enfin ! l’esprit parisien, je le retrouve donc sur ces bords de l’Escaut, qui furent nôtres… Je le retrouve en toute sa pureté traditionnelle de misonéïsme et de blague… Et je le retrouverai bien mieux encore, ce soir, au théâtre, dans une revue satirique : Tout Anvers à l’envers, qui semble, obscénités en moins, avoir été composée, écrite, mise en scène par un monsieur de Gorsse du cru… Et c’est probablement tout ce qu’Anvers a gardé de nous, de notre influence si courte, de notre domination si éphémère, bien que Lazare Carnot, qui le gouverna, n’eût point la réputation