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La ville.


Après avoir longtemps longé les méandres de la Senne — la route et l’eau se fuyaient, se rattrapaient, comme des enfants se poursuivent en jouant — après avoir traversé quelques petites villes indifférentes, des villages presque morts, une campagne triste et noire, toute grondante de vent, après avoir brûlé Malines et ses fondrières de boue, franchi les forts qui défendent Anvers, ralenti dans les faubourgs, nous ne nous sommes arrêtés qu’au milieu de la ville, place de Meir, pour déjeuner.

Si l’on devait juger de la beauté d’une ville, par l’excellence de ses restaurants, Anvers serait bien en dessous de Bruxelles. À Anvers qui, pourtant, est extrêmement riche, où la vie bourgeoise est, dit-on, intense et fastueuse, où, tous les jours, arrivent quantité de voyageurs, pour de là se disperser aux quatre coins du globe, les restaurants sont quelconques, les hôtels aussi. Pas de confortable, pas de luxe ; le nécessaire à peine. Des repas vite préparés, vite avalés, et l’on s’en va. On dirait à voir leur agitation que les Anversois n’ont pas le temps de manger. Agitation moins badaude, moins musarde, moins bavarde, moins littéraire, plus expressive qu’à Bruxelles.

La place de Meir est noire de monde en mouvement. Foules pressées qui ne s’attardent pas aux boutiques, aux menus incidents de la rue, qui se croisent, se mêlent, disparaissent, et se reforment sans cesse… Elles vont au travail, aux affaires… Cela rappelle, avec moins de fébrilité trépidante, l’activité de Londres, dans les rues de