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plus lointain de moi, mon avidité insatiable des mers inconnues, des paysages de feu et de glace, des flores, des faunes, des humanités que je voudrais connaître et que je ne connaîtrai, sans doute, jamais.

Le chant des sirènes enfièvre, jusqu’au délire, ma curiosité du monde entier…



Bateaux.


Mais l’aspect seul des bateaux me donne une satisfaction complète et plus douce.

Je les aime tous.

C’est la plus hardie des machines humaines, celle qui a naturellement le plus d’élégance. Je pense souvent, avec tendresse, à l’âme intrépide et charmante de celui — dont l’histoire n’a pas retenu le nom –— qui, un jour, assis au bord d’un étang et voyant voguer sur l’eau une adorable petite sarcelle à tête rouge, inventa la barque.

Ah ! il eut raison de l’inventer, la barque, ce gentil inconnu, car je crois bien que c’est moi qui l’eusse inventée, tant je l’aime… Et qu’on ne se récrie pas !… J’ai bien, étant enfant, sans connaître un mot de physique et de géologie, sans rien savoir du fameux principe des vases communicants, inventé les fontaines jaillissantes. Et comme, tout heureux, avec la foi candide de l’ignorance, je tâchais d’expliquer, sommairement, cette découverte à mon professeur :

— Mais c’est le puits artésien !… s’écria celui-ci, avec une expression de pitié méprisante que je n’oublierai jamais… Petit imbécile, va !… Et Moïse, qui faisait jaillir les eaux, dans le désert, du bout de sa baguette ?