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Il n’y a pas de port dont je ne sois touché… Même, les tout petits m’enchantent qui sont perdus, comme des nids de courlis, au fond rocheux des criques, et d’où à peine une barque met à la voile… Mon cœur saute et bondit dans les grands… Les fleuves qui sont humains s’y unissent à la mer surnaturelle.

Les plus grandes villes me sont presque toujours de très petits mondes fermés… Un moment vient bien vite où je m’y sens en prison… et m’y cogne aux murs… J’étouffe dans la montagne ; son atmosphère m’est irrespirable, ses nuages, qui dérobent toujours la vue des cimes et le ciel, m’écrasent comme de lourdes, comme d’épaisses plaques de plomb. La forêt m’étreint le cœur, m’angoisse, me serre la gorge jusqu’au sanglot… Je ne puis supporter cette sorte de terreur religieuse qu’elle accumule sous ses voûtes et qui emplit ses ténèbres, où, parfois, des bêtes nocturnes hurlent à la mort…

Mais il n’est pas de quai, de jetée, de môle, d’embarcadère, il n’est pas, comme ils disent ici, de piers, au long desquels des bateaux se balancent, où je ne me sente vraiment au bord de l’univers, et joyeux, et libre, et léger… Les coups de sifflet qui font vibrer les vitrages des gares, même gigantesques, ne sont que des avertissements sans éclat ; ils ne parlent pas assez à mon imagination… L’appel des sirènes a une autre signification, une autre éloquence, une portée plus haute. Quand il s’amplifie dans les ports, il a la sonorité, la profondeur, l’émotion poignante des nouvelles qui arrivent du bout du monde, et, chaque fois que j’en ai entendu durer les accents, j’ai entendu leur répondre, du