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Un port.


Spectacle merveilleux que celui d’un grand port et toujours nouveau ! Monde effarant où tout l’univers tient à l’aise entre les docks d’un bassin, où, dans un prodige de couleur, s’entre-choquent les réalités implacables de l’argent, du commerce, de la guerre, et les féeries les plus délicieuses ! Masses noires et roulantes qui portent dans leurs soutes l’imagination, le génie, la fécondité, l’ordure, les richesses, la mort de toute la terre !… Tumulte, sur les eaux clapotantes, des petits remorqueurs enragés et des lourds chalands, autour desquels les mouettes blanchissent et jaillissent, comme des flocons d’écume autour d’un récif ! Sur les quais, parmi les ballots, les tonnes de graisse et de saindoux, les laines et les peaux, aux odeurs de pourriture, grouillement des torses nus, ployant sous le faix, et des pauvres gueules contractées de fatigue et de révolte ! Travail des machines qui, sans cesse criant, soulèvent et promènent dans l’espace, au bout de leurs bras de fer, les charges pesantes, molles comme des nuées !… Silhouettes légères, aériennes, des voilures, des mâtures. — « Tes cheveux sont des mâtures… Ta robe glisse sur la pelouse du jardin, comme une petite voile rose, sur la mer… »

Et entre tout cela qui grince, qui halète, qui hurle et qui chante, l’entassement muet d’une ville, et la vaporisation, dans le ciel, de coupoles dorées, de flèches bleues, de tours, de cathédrales, d’on ne sait quoi… Au delà, encore, l’infini… avec tout ce qu’il réveille en nous de nostalgies endormies, tout ce qu’il déchaîne en nous de désirs nouveaux et passionnés !