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de Toulouse qui caricature l’esprit de la France, au moins autant que l’esprit de Bruxelles, celui de la Belgique ?

Les Belges, sans doute, ont des ridicules, comme nous en avons, comme en ont tous les peuples. Ils ont aussi des qualités, des vertus, que beaucoup n’ont pas, et que je souhaiterais aux Français, si orgueilleux de leurs frivolités et de leurs vaines richesses. Ils travaillent. Ils savent réveiller les vieilles cités de leur torpeur ancienne. Même Bruges sort, enfin, de son long silence mystique. Le bruit des marteaux, le sifflement des usines dominent aujourd’hui le chant de ses carillons et le chuchotement mortuaire de ses béguinages. En dépit de toutes ses tares religieuses, un frémissement de vie nouvelle secoue et anime ce petit pays. Enfin M. Edmond Picard et M. Camille Lemonnier ne sont pas plus la Belgique, que M. Drumont et M. Bourget ne sont la France.

Et puis, je n’oublie pas que j’aime Maurice Mæterlinck, que j’aime Émile Verhaeren, que j’ai aimé Franz Servais, le doux et tendre Rodenbach. Et de ce dernier voyage dans Bruxelles, et de tout ce que j’y ai rencontré, de tout ce que j’y ai coudoyé, je les aime plus encore et les admire avec une foi plus haute. Ils ne doivent rien à la France, qui, au contraire, fut heureuse de les accueillir, de les honorer et de s’en honorer. Et Bruxelles, dont ils ne sont pas, dont ils ne pouvaient pas être, qu’ils ont traversé en passant, ne leur a rien enlevé, non plus, de leur génie. Ils sont de chez eux, car ils ont su incarner dans leurs œuvres si différentes, avec une force et une grâce très rares, l’âme même des pays où ils sont nés.

Mæterlinck, je l’ai retrouvé à Gand, au bord du canal, et j’ai retrouvé aussi, dans les eaux mortes du canal, tous les mirages, tous les reflets, toutes les féeriques mélancolies de sa jeunesse.