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C’est bien le red rubber, le caoutchouc rouge. Il n’en aborde pas, à Anvers, un seul gramme qui ne soit ensanglanté.

Dans l’Amérique tropicale, en Malaisie, aux Indes, l’exploitation des plantes à caoutchouc n’est qu’une industrie agricole. Au Congo, c’est la pire des exploitations humaines. On a commencé par inciser les arbres, comme en Amérique et en Asie, et puis, à mesure que les marchands d’Europe et l’industrie aggravaient leurs exigences, et qu’il fallait plus de revenus aux compagnies qui font la fortune du roi Léopold, on a fini par arracher les arbres et les lianes. Jamais les villages ne fournissent assez de la précieuse matière. On fouaille les nègres qu’on s’impatiente de regarder travailler si mollement. Les dos se zèbrent de tatouages sanglants. Ce sont des fainéants, ou bien, ils cachent leurs trésors. Des expéditions s’organisent qui vont partout, razziant, levant des tributs. On prend des otages, des femmes, parmi les plus jeunes, des enfants, dont il est bien permis de s’amuser, pour s’occuper un peu, ou des vieux dont les hurlements de douleur font rire. On pèse le caoutchouc devant les nègres assemblés. Un officier consulte un calepin. Il suffit d’un désaccord entre deux chiffres, pour que le sang jaillisse et qu’une douzaine de têtes aillent rouler entre les cases.

Et il faut toujours plus de pneus, plus d’imperméables, plus de réseaux pour nos téléphones, plus d’isolants pour les câbles des machines. Aussi, de même qu’on incise les végétaux, on incise les déplorables races indigènes, et la même férocité, qui fait arracher les lianes, dépeuple le pays de ses plantes humaines.

Au diable les Anglais, qui sont des jaloux, et qui ne pardonnent pas au roi Léopold de les avoir dupés et volés ! Au diable les barbouilleurs de papier, faiseurs d’