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Mais, l’affranchissement, l’émancipation de quoi, si tout d’abord on n’affranchit et on n’émancipe notre cerveau ?

Je compris très bien que le passé n’avait plus aucune prise sur ces hommes conscients et qu’ils défendraient, avec une volonté tenace et une tranquille assurance, les conquêtes, les pauvres petites conquêtes, matérielles et morales, qu’ils avaient su, tout seuls, arracher à la société et au sol ingrat de leurs montagnes…

Et tel était le miracle… En quelques heures, j’étais allé d’une race d’hommes à une autre race d’hommes, en passant par tous les intermédiaires de terrain, de culture, de mœurs, d’humanité qui les relient et les expliquent, et j’éprouvais cette sensation — tant il me semblait que j’avais vu de choses — d’avoir, en un jour, vécu des mois et des mois.

Et cette sensation que, seule, l’automobile peut donner, car les chemins de fer, qui ont leurs voies prisonnières, toujours pareilles, leurs populations parquées, toujours pareilles, leurs villes encloses que sont les chantiers et les gares, toujours pareilles, ne traversent réellement pas les pays, ne vous mettent point en communication directe avec leurs habitants, — cette sensation, tout à fait nouvelle, que de fois j’en goûtai la force et le charme, au cours de ce voyage exquis, où je retrouve constamment mon admiration et, je puis le dire, ma reconnaissance, pour cette maison roulante idéale, cet instrument docile et précis de pénétration qu’est l’automobile, et surtout —