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à coup, à répéter, plusieurs fois, en me criblant de regards aigus, sautillants et menaçants :

— Moi, je sais bien pour qui je voterai…

Et, comme je restais muet, dans mon rang…

— Oui, oui… Vous voudriez que je vote pour vous… Mais je ne suis pas un imbécile… Je ne voterai pas pour vous… Je sais bien pour qui je voterai… Je voterai pour quelqu’un… Et quand j’aurai voté pour celui que je sais… ah ! ah ! ah !… Je sais ce que je dis… Et vous… vous ne dites pas ce que vous savez…

— Au moins, pensais-je… ils ne tireront pas.

Notre capitaine se promenait devant le front de la compagnie, inquiet, nerveux, l’oreille ouverte aux clameurs encore lointaines de l’émeute. De temps en temps, des cavaliers traversaient la place, au galop. Les boutiques se fermaient ; de pâles bourgeois rentraient chez eux, en hâte, essoufflés. Peu à peu, le grondement populaire se fit plus proche ; les cris, les vociférations, les appels, plus distincts. Deux coups de feu claquèrent, comme deux coups de fouet, dans une bagarre de voitures… Le capitaine se tourna vers nous. C’était un marchand de cravates de la ville… Il avait une figure toute ronde et rose, un gros ventre pacifique, des yeux doux…

— Mes enfants, nous dit-il… ça se gâte… Ils vont être là dans quelques minutes… Qu’est-ce que vous voulez ?… Je vais être obligé de faire les sommations légales et de commander le feu… C’est très embêtant… car je les connais… ce sont des enragés… ils ne m’écouteront pas… Tirer sur des gens de la ville, des gens qu’on connaît… c’est très embêtant. D’un autre côté, il faut bien que force reste à la loi… Il le faut… C’est très embêtant… Si encore ils avaient exposé tranquillement leurs revendications !… Le Roi est un brave homme,