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menaçant de se prolonger, on convoqua la garde civique. J’en faisais partie. Force me fut de me ranger sous le drapeau de l’ordre, parmi les défenseurs de la société. Dans ma compagnie, nous n’étions que deux bourgeois authentiques, un peintre de mes amis, et moi. Le reste ?… ouvriers, petits employés, commis de magasin, tous, ou presque tous, en parfaite communion d’idées avec les émeutiers. Dans le rang, ils discutaient, entre eux, à voix basse, et ce mot de « suffrage universel » revenait sans cesse, sur leurs lèvres.

Ils se promettaient bien, ils juraient, si on leur commandait de tirer sur le peuple, de tirer en l’air.

— Ils ont raison, disait l’un, ils combattent pour notre bonheur.

— Mieux que cela, appuyait un autre… pour notre souveraineté…

— Oui, oui !… Tous, nous voulons être souverains, comme en France.

— Imposer notre volonté, comme en France.

— Dicter nos lois, comme en France.

— Patience !… Encore quelques jours, et nous serons les maîtres de tout, comme en France.

Un autre disait :

— On peut commander tout ce qu’on voudra. Je ne tirerai pas… D’abord, parce que ce n’est point mon idée, ensuite parce que mon frère est avec ceux qui se battent, pour notre souveraineté. Je me serais bien battu, moi aussi… mais j’ai une femme, deux enfants…

— Moi aussi, je me serais bien battu… mais le patron, qui n’est pas pour le peuple, m’aurait mis à la porte, et je n’aurais plus d’ouvrage… Oui, mais, quand nous serons souverains, c’est nous qui mettrons les patrons à la porte…

Un petit homme, qui n’avait encore rien dit, se mit, tout