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ni leurs compagnons qui n’en perdaient pas une bouchée, ni mes amis accablés, ni nos hôtes infatigables, ni la caissière penchée sur ses additions, ni le vieux maître d’hôtel, à l’habit crasseux et trop large, au crâne luisant, aux cheveux gris envolés, qui circulait, pesamment, entre les tables, portant les plats… Oh ! ce vieux domestique de La Joie fait peur !

Quand la petite enragée s’arrêtait pour reprendre son souffle, on percevait à son cou l’éclat d’une croix en brillants… Elle se tapotait vivement les cheveux, au bord du chapeau, suçait, non moins vivement, une patte d’écrevisse, et remontait, ensuite, d’un geste bref, ses gants au-dessus de ses coudes… Puis ils s’enlaçaient à nouveau, avec plus de hardiesse, aussi libres que s’ils eussent été seuls, dans une chambre… Leurs mains cachées sous la table travaillaient à des caresses invisibles, mais précises… J’admirais que, gauche et lourde, elle ne fût gracieuse et légère que dans le baiser… Ils ne disaient toujours rien, non plus que leurs compagnons, comme si les mots dussent contrarier les joies, également passionnées, également fugaces, de la gueule et de l’amour…

Et j’entendais la caissière, très pâle et très hautaine, sous ses bandeaux noirs, répéter, en écrivant sur un gros registre, comme les mots d’une dictée :

— Quatre homards grillés…, quatre bécassines au champagne.

Et j’entendais le vieux maître d’hôtel crier, d’une voix cassée :

— Les cigares… voilà, monsieur…

Et j’entendais nos Bruxellois, de plus en plus enthousiastes, clamer, l’un :

— Paris !… Paris !… Paris !