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Jaulin d’être maire. Il préféra s’effacer et disposer clandestinement de la puissance que donne dans les petits villages cette magistrature souveraine, sans en assumer les responsabilités publiques et les tracas. Radical, cela va sans dire, et même méliniste, ce qui ne s’exclut pas, ce qui au contraire se corrobore.

Jaulin mène le pays. Il le mène, le verre en main.

En dehors de cette attitude symbolique et professionnelle qui éblouit toujours les électeurs, depuis qu’il y a un suffrage universel et qui se saoule, il eût suffi des seules vertus de Jaulin, pour le désigner au choix de tout le monde. Il est gai, dans un pays où tous sont tristes. Dans un pays où tous sont méchants et jaloux, il est bon enfant. Il entend et pratique les affaires merveilleusement, selon la méthode paysanne, qui est, non de les résoudre, mais de les embrouiller. Il aime à rendre service, quand il ne lui en coûte rien. Et il jouit, sans faste, sans orgueil et sans vantardise d’une heureuse aisance, acquise on ne sait trop comment, car ce n’est tout de même pas son débit, ni sa forge, ni les cinq oranges de son étalage qui ont pu lui gagner les terres qu’il possède et l’argent placé sur hypothèques chez les divers notaires de la région, hormis, bien entendu, chez celui de Ponteilles. On dit que, pour obliger