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sorti de chez lui, il traverse lentement le pays d’un bout à l’autre bout. Il contemple avec délices la belle ordonnance, hume avec force les odeurs de sa rue, dont l’assainissement est borné aux seules pluies d’orage, peu fréquentes en ces régions. Il salue avec bienveillance les poules, les oies, fait : « Ah ! Ah ! mes braves » aux dindons, congratule les cochons de leur engraissement progressif : « Mais dites donc… mais dites donc, mes enfants », éloigne prudemment du bout de sa canne les deux pauvres chiens rhumatisants qui le suivent, contents de voir un être humain, s’arrête à toutes les boutiques, où il recueille de la bouche des boutiquières les potins locaux et débite de mornes propos galants. Arrivé devant la mairie, il se souvient, tout à coup, qu’il est au plus mal avec l’instituteur — un anarchiste parbleu ! et peut-être un satyre — qui fait en même temps fonction de secrétaire, et dont il demande, en vain, depuis deux ans, le déplacement. Ce n’est pas que M. Théophile Lagniaud ait peur… mais il n’aime pas  se trouver seul à seul en présence de quelqu’un avec qui il est au plus mal. On ne sait jamais ce qui peut en advenir.

— Pas d’histoires ! Oh ! pas d’histoires.

Telle est la devise de M. le maire.

Si la chaleur n’est pas trop accablante, il continue donc son chemin et pousse sur la route de