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pantomime. Et ce n’était pas non plus, comme je l’ai dit, un griffon. Je ne sais pas ce que c’était. C’était un exquis petit animal, pas joli, plus que joli, vif et joyeux et sans cesse pétillant et sans cesse caressant, tout grâce, tout caresses, tout amour. Il s’était fait une toute petite âme, soyeuse et frisée comme son corps, mais blonde, et délicate et un peu frivole et si inventive, en constant désir de plaire, de la plus gentille, de la plus imprévue cocasserie qui se pût voir. À force d’ingéniosité, pour me rendre orgueilleux de lui comme d’un objet unique, il s’était fait aussi une race à lui, à lui tout seul.

Voici trente ans qu’il est mort… et dans quelles circonstances, grand Dieu !

Nous passions une saison à Noirmoutiers. Nous y avions fait connaissance d’une dame très laide, si laide que je renonce à vous décrire l’énormité, l’hyperbolisme, l’hugotisme de cette laideur, si laide que je n’ai jamais eu la curiosité — désireux qu’elle restât un mythe — de demander qui elle était, d’où elle venait, de quelles amours tératologiques et contradictoires elle avait bien pu naître. Un soir, elle était arrivée, comme ça… comme arrivaient toutes les autres femmes, sans être annoncée par de mauvais présages. Et l’île tout entière en avait frémi de malaise et d’horreur… C’était, du reste, un défi injurieux, douloureux