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cieuse, si telle était son humeur du moment.

Comprenez-moi, je vous prie.

Jamais Dingo ne me fit, ne fit à personne de confidences intellectuelles sur la formation de ses idées et le développement de sa vie morale. Vous me direz qu’il était bien trop jeune. Ce n’est pas une raison. Il n’y a que les jeunes gamins pour cultiver ce genre de divertissement morose, et ils finissent toujours par se noyer dans le biberon sans fond de leur âme. Dingo était bien trop avisé pour cela. Je ne voudrais donc pas affirmer que ce furent réellement là ses pensées profondes, ses pensées de derrière la tête. Je ne voudrais pas non plus calomnier son bon goût, au point de prétendre qu’il employât couramment, dans la conversation, ce fatigant, cet éternel vocable : la beauté, si inlassablement galvaudé par les collégiens, les architectes et les femmes de lettres, dans leurs banquets de corps, et qui ne signifie rien… rien du tout. C’est moi seul, je le confesse, qui, par une sotte et orgueilleuse manie d’anthropomorphisme — non dans une intention d’imposture — me plais à tirer des actes d’un chien ce commentaire humain, dans l’impuissance où je suis à en concevoir un autre, honnêtement canin. Je dois aussi à Dingo cette justice — et je m’empresse de la lui rendre — que s’il eut jamais ces idées et s’il employa ce