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Vêtu d’une blouse et d’un pantalon d’un brun lavé et, sous la blouse, d’un tricot de laine fauve, coiffé d’une casquette dont la peau de lapin usée lui moulait le crâne, une cravate lâche, en corde rouge, autour du cou, il était de petite taille, sec, osseux, couleur d’écorce et de sous-bois. Ses yeux, des yeux très clairs, d’un gris très clair, mais fixes et ronds, étaient sans aucun rayonnement et pareils aux yeux des oiseaux nocturnes que blesse la lumière du jour. Sa face pointue, montée sur un col mince et long, était pour ainsi dire rongée, comme une plaie, par une barbe très courte, d’un gris roussâtre. Il avait des allures prudentes, obliques, l’oreille attentive, inquiète, un nez extrêmement mobile, dont les narines battaient sans cesse au vent comme celles des chiens. Ainsi que les animaux habitués à ramper, à se glisser dans le dédale des fourrés, il ondulait du corps en marchant. Ses chaussures ne faisaient aucun bruit sur le sol. On eût dit qu’elles étaient garnies d’ouate et de feutre. Enfin, il représentait pour moi quelque chose de plus ou de moins qu’un homme, quelque chose en dehors d’un homme, quelque chose dont je n’avais pas l’habitude et qui me hantait : un être de silence et de nuit.

Il était haï, redouté de tous. Personne ne lui parlait jamais et il ne parlait à personne. Chacun