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rentrait, il connaissait la ville, en tous ses coins et recoins, et pouvait m’en faire les honneurs avec une assurance tranquille de vieux guide.

J’étais heureux… Je ne redoutais plus les catastrophes. Je me disais que dans les villes, les bêtes — je parle au propre, non au figuré — sont rares, exceptionnelles, cachées. La tentation éloignée, conquis à d’autres préoccupations, Dingo ne songerait plus à ses cruelles et néfastes manies. Hélas ! je ne savais pas tout ce que peuvent contenir de bêtes inattendues les repaires d’une grande cité. Et je comptais sans le flair détesté, sans le flair miraculeux de cet apache de Dingo.

Je ne ferai pas l’énumération de tous ses massacres. Ils furent nombreux et affreux, parfois d’un comique imprévu, d’une irrésistible fantaisie.

À Nuremberg, dans une ruelle obscure, près du château, il égorgea deux faisans dorés ou plutôt dédorés qu’élevait tendrement, en son échoppe, un très vieux cordonnier. Je vois toujours à Francfort la petite gazelle que Dingo étrangla dans l’arrière-boutique d’un revendeur juif et la jeune fille qui pleurait sur le cadavre, encore orné au cou d’un ruban bleu, tout maculé de sang… Et le kangourou — un kangourou !  — qu’il tua dans un petit restaurant d’Altona… Et les perroquets de Dresde !… Les deux balbuzards de Dussel-