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— Mais les tournées, c’est ce qu’il y a de meilleur pour moi… Je voudrais bien être toujours en tournée… les wagons sont chauffés et dans les hôtels on mange si bien…

Elle parlait sans l’ombre d’ironie. Je saisis toute la misère de sa vie dans ces deux mots : les wagons, les hôtels. Elle ne les redoute pas, elle les espère.

— Et on travaille… ajouta-t-elle avec ferveur.

Elle se leva, prit dans un tiroir un fichu de laine qu’elle posa sur ses épaules.

J’avais envie de l’interroger, de l’aider… Mais elle ne se plaignait pas. Quelle pudeur ou quelle lâcheté nous fait détourner les yeux devant la misère, comme nous éviterions, surprenant la nudité d’une femme, d’y faire une allusion triviale ? Ai-je eu peur d’engager ma responsabilité, de franchir la distance qui me séparait et me protégeait de cette étrangère ? Je ne sais. Tandis que Lina Lauréal croisait son fichu sur sa poitrine, je ne songeais qu’à sa tuberculose et à sa pauvreté et cependant je lui demandai sur le ton le plus aimablement lointain :

— Vous n’avez pas joué à Paris ?

— Comment… me répondit-elle, mais si… j’ai été à l’Odéon… mais je n’y ai pas joué… personne n’y joue… Mais j’ai fait une saison au théâtre Moncey… C’est moi qui ai créé Irène dans la Girandole.