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Quant au garde champêtre, à qui je faisais porter clandestinement des salades et toutes sortes de légumes, il racontait avec des détails tragiques qu’il avait « raté ce sacré chien, d’une seconde ».

— Ma foi ! oui… Une seconde de plus… il y était !…

Et les journaux de la région s’en mêlèrent. On put y lire d’éloquents rapprochements historiques entre Dingo et les seigneurs de l’ancien Régime, qui buvaient le sang des paysans. On put y admirer des appels enflammés à la démocratie insultée, maltraitée par un chien de bourgeois. D’ailleurs, qu’est-ce que je faisais dans ce pays ? Quelle ambition saugrenue, quel intérêt secret m’y avaient amené ? Je n’avais donc pas un pays à moi ?… Je n’étais donc né nulle part ?… Et puis… et puis est-ce qu’on ne savait pas très bien que je recevais souvent des personnages louches, mystérieux, des personnages qui parlaient des langues étrangères ?…

Quant à Dingo, il restait calme au milieu de cette tempête, méprisant ces insinuations et ces calomnies, indifférent à la haine qu’il déchaînait contre lui et contre moi, heureux, de plus en plus heureux. Ce qui m’irritait le plus en cette attitude effrontée, ce que je ne pouvais pas lui pardonner, c’est que non seulement il ne dissi-