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— Pourquoi aussi avez-vous laissé ouvertes les portes de la basse-cour ?… Je passe ma vie à vous le défendre… Mais, naturellement, vous n’en tenez aucun compte…

Le jardinier haussa les épaules, avec plus de pitié que d’irrespect. Il sentait combien cette observation était malveillante et injuste, combien surtout elle était inutile. Il répondit dignement, mais avec force :

— Ouvertes… fermées… qu’est-ce que ça fait à un chien comme ça ?… Ah ! les portes ne l’embarrassent guère… ni les murs. Il s’en faut… il s’en faut bien. Monsieur va voir…

C’était quelque chose d’horrible, en effet, ce que je vis et comme je n’eusse pas osé l’imaginer, moi qui pourtant ne recule pas devant l’horrible. Toutes les poules étranglées, éventrées, toutes les poules mortes, déjà raidies, étaient rangées, comme pour une exposition, côte à côte, méthodiquement, par rangs de taille, sous le hangar bouleversé de la basse-cour. Il y en avait cent. Les unes semblaient intactes, sauf leurs plumes qui étaient farouchement rebroussées et mouillées de bave sanglante. Des autres, aplaties, tordues, en bouillie, les entrailles sortaient et dévidaient sur le sable leurs anneaux ronds, ainsi que des pelotes de laine emmêlées par un chat. Les mangeoires renversées, les pondoirs