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peut même pas découper un poulet… Expliquez-moi ça, vous !

Au laboratoire attenait une autre pièce, plus vaste encore, où sous des cloches de verre Legrel élevait, selon leurs besoins, leurs habitudes différentes, les exigences de leur climat, de leur habitat d’origine, d’innombrables tribus d’araignées. Il y en avait de toutes les grosseurs, de toutes les couleurs, de toutes les mœurs et de tous les pays. La plupart, cadeaux envoyés en hommage par des correspondants enthousiastes qu’il avait jusque dans les plus lointaines, les plus bizarres régions du globe.

Une seule chose me chagrinait en Legrel. Il ne me parlait jamais de ses travaux et chaque fois que j’y faisais allusion, que j’y prenais de l’intérêt, il détournait tout de suite, quelquefois un peu rudement, la conversation. Était-ce défiance de moi ou dédain de mon ignorance en ces matières ou jalousie de quelques petits succès que j’avais eu la chance d’obtenir ? Je ne pouvais pas admettre un instant cette supposition malséante, qui était le renversement de toutes les idées que je me faisais sur le caractère de mon ami ?… Timidité alors ?… Modestie ?… Non plus… Plusieurs fois, à des paroles qui lui étaient échappées, j’avais parfaitement senti qu’il avait au fond l’orgueil de son savoir, la conscience de sa