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donc tous les trois, Legrel, sa femme, leur fille Irène, une adorable enfant de treize ans, dans la plus étroite, la plus tendre des unions. Et ils eussent joui d’un bonheur complet si, de temps en temps, les injustices, les passe-droits, les attaques jalouses n’accumulaient dans l’âme de Mme Legrel des colères, des amertumes, que la philosophie du savant ne parvenait pas à calmer et à endormir.

Mme Legrel n’était pas jolie, mais elle avait une activité physique, une vivacité spirituelle, une sorte de charme ingénu et rude, une si grande puissance d’énergie et un dévouement si continu, si passionné qu’elle s’en trouvait, même aux yeux de nous tous, pour ainsi dire embellie. Legrel adorait sa femme. Il adorait aussi sa maison, pour tous les sourires que sa femme y prodiguait, pour le calme moral qu’il y goûtait. Elle était située au milieu d’un beau jardin. C’était une ancienne maison de paysan, intérieurement appropriée sans trop de frais aux besoins nouveaux d’une vie bourgeoise. Pour en cacher les murs de meulière rugueuse et triste, on l’avait presque entièrement tapissée de plantes grimpantes : clématites, vignes vierges, bignonias aux longs cornets orangés, corchorus du Japon aux étoiles d’or, polygonums envahissants, qui partout dressaient leurs belles grappes blanches. Chaque fenêtre avait un balcon et de chaque balcon