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bien bavarder avec les voisines et se conter les histoires du pays. Et puis, quand on est trop pauvre, rien ne sert à rien et on glisse chaque jour un peu plus bas dans la paresse, un peu plus profond dans l’ordure. Cette maison n’a même pas de jardin, l’indispensable jardin où Pierre, en rentrant de sa journée, pourrait cultiver quelques pommes de terre, quelques plants de salade et deux ou trois vieilles fleurs égayantes : au printemps, une ravenelle, une couronne impériale ; l’été, un soleil ou un pâle rosier.

Comme je l’exhortais, pour combattre l’influence délétère de son intérieur sur la santé des enfants, et pour ses joies, et pour sa dignité d’homme, à se créer un jardinet, dans le petit terrain encombré d’ordures de toutes sortes qui est derrière sa maison, il répondit avec un geste de lassitude :

— Du travail en plus ?… Ah ! ma foi non !… C’est pas la peine… Nous sommes à l’air, toute la journée, dans les jardins et dans les champs. Et puis… vous savez… les fleurs, c’est très joli, pour sûr… mais c’est pas ça qui me donnera cinq cents francs de rentes…

Parler de la qualité sédative des fleurs, de leur vertu moralisatrice à qui n’a pas de pain, à qui tout manque, je compris que c’était un peu bête. Et puis, il y des grâces d’état pour les pauvres… Chez les pauvres gens, je crois que l’ordure est