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— Avant toute chose… il faut des pauvres et des riches…

De penser à la venue d’une société où il n’y eût pas de riches et pas de pauvres, cela l’effare :

— Qu’est-ce que je ficherais, moi, là-dedans ?… s’écrie-t-il.

La richesse des riches lui semble la seule garantie possible de la vie des pauvres.

Le malheureux est marié — il s’est marié à vingt-deux ans — et vous savez déjà qu’il a pris au sérieux la question de la repopulation, huit enfants… Huit enfants, tous bien portants, les dents longues, le ventre affamé et qui sont à peu près nus sous leur crasse et sous leurs guenilles…

Un jour que Piscot est venu se plaindre au maire de ses charges trop lourdes :

— Qu’est-ce que tu veux, mon gars ?… objecte le maire… C’est dégoûtant aussi : huit enfants…

Piscot s’excuse humblement, pris d’une pudeur soudaine.

— Ben oui ! ben oui !… Qu’est-ce que vous voulez ?… Caresser sa femme tous les soirs… et un petit coup de fion, de temps en temps… On pense moins, pendant ce temps-là, à sa misère… Et puis, je vais vous dire… La bourgeoise… elle en veut… elle en veut…

— Alors, on fait attention, bougre de maladroit… Est-ce que j’ai huit enfants, moi ?…