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patiemment que les bas de laine, si bien vidés par maître Vertbled, se fussent remplis à nouveau pour maître Anselme Joliton. En effet, peu à peu, ils se remplissaient automatiquement, selon des lois mécaniques très bien connues. Car il est sans exemple — je parle d’après les statistiques les plus pessimistes — il est sans exemple qu’un bas de laine de paysan, même arrivé au suprême degré de la platitude, ne se regonfle et ne soit plein à craquer, au bout de douze ans. Et cela, en dépit des mauvaises récoltes, des grands gels, des sécheresses, des grêles, des invasions de chenilles, de campagnols et de phylloxéra, en dépit des incendies, des épidémies, des guerres, des Panamas, des Fiscalités les plus féroces, des catastrophes en tout genre…

Maître Anselme Joliton était un homme de quarante-cinq ans, rondelet, grassouillet, obséquieux. Il avait conservé la mode ancienne des redingotes noires très longues et des cravates blanches. Un chapeau haut de forme en feutre mat couvrait en toutes saisons, à toutes heures du jour même les plus matinales, sa tête ronde, strictement rasée, qu’encadraient sur la nuque, d’une oreille à l’autre, des boucles de cheveux châtains, prématurément mêlés de cheveux gris. La mine papelarde, le nez charnu, l’oreille plate et détachée, la peau d’une graisse un peu jaune,