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loux. Et cette course ne fut pas longue. Les fugitifs dévalaient une pente et bientôt ils sentirent l’eau. La galerie où, par infortune, ils étaient entrés, aboutissait à un lac toujours plus profond, infranchissable. Ils y furent enfin plongés jusqu’au cou.

« Nous ne pouvons aller plus loin, dit Tulléar. Et tenez, l’ennemi même renonce à nous suivre ; c’est assez significatif. »

En effet, la foule, hurlante, s’était arrêtée à l’endroit où l’eau commençait, comme sûre que sa proie ne pouvait plus lui échapper. Les frondes envoyaient au hasard leurs projectiles dans la mare. Atanibé nagea le plus loin qu’il put, et revint dire que l’eau atteignait la voûte. Pas d’issue par là. À l’origine, probablement, le tunnel passait sous le lit de la Seine. Au long des siècles, le fleuve avait percé la galerie et repris le terrain conquis par l’homme…

Atanibé nageait désespérément, sondait à coups de poing la muraille lisse. Un moment, son poing rencontra le vide. Il poussa une sourde exclamation de triomphe. Ses mains tâtaient un trou affleurant l’eau, l’embouchure d’un étroit terrier, d’un égout peut-être qui se déversait dans le souterrain par une blessure de la paroi. Le salut ? en tout cas du répit ! Les trois compagnons s’y haussèrent sans bruit.

Ils y rampaient à plat ventre dans des flots de boue. Le terrain montait. Assurément, on s’éloignait du fleuve. Les cris de la foule arrivaient plus indistincts, puis se turent. Un quart d’heure se passa en efforts pénibles, un long quart d’heure qui sembla un siècle et au bout duquel une lueur pâle pénétra le boyau. C’était le jour ! c’était la délivrance ! Le trou s’ouvrait dans un champ de ruines et d’herbes, à proximité de l’ancien Odéon. Non loin, au-dessus des éboulis, le Panthéon, poudré de givre, s’érigeait jusqu’au ciel bleu. Les hommes aspirèrent à longs traits l’air glacé et saluèrent de vivats l’apparition sublime.

Un cri fait de mille cris leur répondit. Une armée hirsute montait de la berge, courait à eux, brandissant des massues de fer, faisant vibrer les frondes. Le peuple des profondeurs s’était aperçu que sa proie lui échappait, et, par toutes les ouvertures des souterrains, se ruait, hâtant sa poursuite.

« À l’aéronef ! à l’aéronef ! »

Sous le soleil, les explorateurs reprenaient toute leur force et l’espoir vivifiant. En quelques enjambées, ils atteignirent le Panthéon, devançant d’une centaine de pas leurs adversaires les plus acharnés. Avec une hâte fébrile, ils tiraient déjà sur la place la machine volante.

La vue de cet appareil insolite parut frapper de stupeur les premiers assaillants, qui reculèrent, ignorant si la mort n’allait pas s’échapper de cet engin. Mais cet étonnement passa, quand ils virent les étrangers prendre place dans le roof, entre les grandes ailes blanches. Une nuée de pierrailles s’abattit, cassant toutes les vitres. En même temps, les sauvages se suspendaient en grappes aux flancs de la machine, en hurlant leur victoire.

Fandriana pressa une manette.

« Allons ! » dit-il.

L’aéronef frémit, ses hélices vibrèrent ; le moteur chanta. Comme un albatros qui va prendre son vol, l’énorme machine battit de l’aile et roula quelques instants sur le sol, malgré l’effort des assiégeants. Profitant du trouble causé dans la cohorte des ennemis, Tulléar et Atanibé passaient par les vitres brisées le canon de leurs fusils, et le bruit des détonations, quelques cadavres culbutés semèrent l’épouvante, écartèrent les obstacles humains.

Soudain l’aéronef s’éleva. Il plana au-dessus des bras tendus, des cris de rage, des jets de pierre, comme s’il s’orientait et cherchait sa route. Un sauvage agrippé au toit du roof fut pris en écharpe par l’hélice et tomba en tournoyant. Puis le vaste oiseau s’éloigna majestueusement dans la profondeur bleue.