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Une Exploration Polaire aux Ruines de Paris

fixement. Atanibé s’approcha lentement du fantôme ; à mesure, l’homme reculait dans l’obscurité. Il y disparut.

Atanibé se frotta les yeux, se crut le jouet d’une illusion. Les explorateurs se consultèrent.

Un homme dans Paris ! Était-ce possible ? Ils avaient cru, toute une saison, occuper seuls l’immense pays abandonné. Et voici que surgissait un propriétaire ! À moins que ce ne fut un spectre, comme ils l’avaient cru tout d’abord, car sa disparition subite demeurait mystérieuse.

« Il faut pourtant savoir où il est passé ! » dit Tulléar.

Atanibé battit le briquet ; à la faible lueur qui jaillit, les murs parurent pleins et sans issue. Mais, tout à coup, Fandriana eut un cri d’angoisse et disparut, aussi brusquement que le personnage énigmatique l’avait fait. Tulléar et Atanibé virent à leurs pieds une crevasse qui s’ouvrait sur une nuit insondable. Que faire ? La voix de Fandriana vint à propos les arracher à leur perplexité. Elle montait, joyeuse, rassurante, des entrailles de la terre, les invitant à tenter l’aventure. En même temps, une vive lumière éclaira l’orifice. Fandriana allumait sa petite lampe électrique de poche. À cette clarté, Atanibé et Tulléar s’engagèrent dans un escalier aux marches rugueuses et irrégulières, débouchèrent sous un vaste tunnel. Le mur portait un fragment d’inscription : … OP.LIT … qui donna beaucoup à penser aux trois amis.

L’homme inconnu n’était pas un rêve : au loin, les voûtes répercutaient le bruit de ses pas précipités. Il fuyait. Donc, il était inoffensif. À tout prix, il fallait le joindre, le rassurer, fraterniser avec ce congénère inattendu. Une poursuite échevelée commença. Les trois compagnons heurtaient dans leur course de longs rubans parallèles d’acier poudreux, d’usage inconnu. Quel pouvait être cet étrange souterrain ? Le fugitif avait de l’avance et sa connaissance des lieux le protégeait. Et ce voyage sous terre paraissait devoir être sans fin. Fréquemment, le couloir se bifurquait. Les explorateurs hésitaient devant deux chemins semblables ; quand la poursuite reprenait, le pas de l’homme fuyant était plus lointain, infiniment moins sonore. Sans une parole, dans d’innombrables galeries, on faisait des kilomètres, repassant sans doute plusieurs fois par les mêmes endroits, sans repères pour se guider, jusqu’à épuisement des haleines.

De distance en distance, la voûte était écroulée sur de longues étendues. On s’arrêtait, on cherchait l’issue. Des fentes étroites, dans lesquelles il fallait ramper en s’aidant des pieds et des ongles, ramenaient à des voies, larges et libres. Ou bien l’obstacle était infranchissable. Mais la continuité du souterrain était assurée par un abouchement avec un égout voisin, dans les eaux duquel on enfonçait jusqu’au ventre.


UNE VILLE SOUS LA VILLE. LES TROGLODYTES DE L’AVENIR.

Le bruit de la fuite de l’inconnu mourut enfin. Ce fut le silence. La piste était définitivement perdue.

« C’est une ville sous la ville ! » s’écria Fandriana en se laissant tomber de fatigue. Et la lampe s’éteignit.

« J’y suis, dit Tulléar. OP.LIT … Ce sont des syllabes du mot Métropolitain. Le Métropolitain, disent les textes, était un chemin de fer. Nous sommes égarés et pris à notre piège. La détestable aventure ! Comment sortir de là ?

— Avant tout, ne nous séparons pas et cherchons ensemble. »

D’un pas plus pesant, ils marchaient dans l’obscurité. L’écho leur révélait le vide des longues galeries. À leur évaluation, ils marchèrent pendant plus d’une heure ; après quoi, ils se sentirent suivis par un frémissement léger. Ce murmure incompréhensible n’éveilla pas d’abord leur attention. Mais cela grandit, devint une rumeur confuse, puis des clameurs. Ils s’arrêtèrent, effrayés, se palpant dans l’ombre. Un tumulte de voix humaines, des piétinements de foule emplissaient les voûtes. On saisit bientôt des interjections furieuses, des tintements de métal.

« Les chasseurs sont chassés, susurra Atanibé. Tout le peuple de Paris est à notre poursuite !

— Le peuple de Paris ! interrogea Tulléar.

— Eh ! que voulez-vous que ce soit ? Nous avons vu un homme. Ce genre d’animal ne vit point solitaire. Paris doit avoir des hôtes. Quelque peuplade d’humanité bâtarde, comme nous en avons rencontré souvent dans notre voyage circumpolaire, qui s’est approprié les restes des grands Parisiens d’autrefois. Pour avoir dérangé dans sa quiétude une tribu qui hiverne sous terre, sauvage, sans doute, ignorante de l’humanité et du monde, nous allons avoir à en découdre ! »

Et, comme pour donner plus de consistance à cette supposition, une pierre de fronde, lancée au jugé, mordit Fandriana à l’épaule.

« Fuyons, alors, dit-il : une lutte dans cette nuit… ce serait horrible. »

Fuir n’était pas facile. Ce fut une course au hasard, éperdue, sous une grêle de cail-