Page:Octave Béliard Les merveilles de l'ile mystérieuse, 1911.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1070
Lectures pour Tous

lonnée de navires, alors que la Terre n’a plus de secrets, une île pût être si mal connue ?

— Cela est, pourtant. Quand cette île parut, et alors qu’elle n’était encore qu’un rocher aride et inhabitable, coiffé d’un volcan, on y abordait facilement. Mais, depuis de nombreuses années, elle semble se défendre mystérieusement contre la curiosité. Légende ou vérité, tous ceux qui ont tenté de s’en approcher ont été chassés de la route choisie par des ouragans subits. On dit qu’il en sort, comme d’une outre pleine d’air, une haleine tempétueuse qui repousse les navires. De là son nom. »

Mes regards rencontrèrent la porte de fer qui masquait l’entrée du souterrain.

« En tout cas, dis-je, la tempête peut sortir par là, car la tempête y est entrée. Et ce métal forgé nous signale à coup sûr l’intelligence humaine. Il y a des hommes ici, affirmai-je avec force, de puissants ingénieurs, des civilisés…

— Pour ce qui nous regarde, soupira le capitaine, il serait heureux que cela fût ».

Il parlait encore que je l’interrompis par l’explosion d’une joie soudaine. Une petite barque tournait le promontoire et se dirigeait vers nous, sans rames et sans voile, sous l’impulsion d’un moteur intérieur. Un homme nous y faisait des signaux pacifiques. Il était vêtu fort correctement à la française, quoique la coupe de ses habits affectât une forme légèrement surannée. Quand il fut proche, il sauta hors de l’embarcation et courut de roc en roc jusqu’à ce qu’il nous eût atteints.

« Messieurs, nous dit-il, croyez que nous sommes profondément attristés de ce qui vous est arrivé et que nous eussions tenté l’impossible pour l’éviter. Mais nous ne pouvions laisser le navire pénétrer dans l’Antre des Vents sans vous vouer tous à une mort certaine. Nous en avons fermé la porte pour vous ménager la seule chance de salut qui vous restât. Je vois, hélas ! ajouta-t-il après un regard sur les cadavres flottants, que peu d’entre vous en auront profité. Pour l’instant, le mieux est que vous me suiviez au port. Vos compagnons recevront une sépulture convenable et les épaves utilisables seront recueillies. »

LE RENDEZ-VOUS DES INVENTEURS.

La faiblesse où nous étions, le capitaine et moi, écourta nos actions de grâces. Notre sauveteur nous aida à prendre place dans la barque, qui partit à toute vitesse. Nous essayâmes de raconter notre histoire, et, comme nous nous étonnions du dénouement de la tempête et de la force mystérieuse qui nous avait précipités contre l’île, l’inconnu nous dit gravement :

« Il faut vous attendre à d’autres étonnements. Nous sommes un peuple d’inventeurs que la misère et l’incrédulité de ceux qui détiennent la puissance de l’or ont forcés à se retirer du monde. Vous êtes-vous demandé ce que deviennent tant d’esprits ingénieux qui ne réussissent pas à faire exploiter leurs découvertes ? Avez-vous compté ceux qui meurent de faim près de leurs brevets inutiles ? Beaucoup d’entre eux ont trouvé ici un refuge et se rient maintenant des sots qui traitaient de chimères leurs inventions géniales. À nous tous, déportés volontaires, nous avons créé sur ce roc nu de l’industrie et de la vie. Nous sommes les maîtres de la Nature. Cette île, nous l’avons choisie à dessein sur le chemin des grands cataclysmes, et nous captons les ouragans comme les oiseleurs capturent les colombes, pour utiliser dans nos maisons, dans nos ateliers, la force de l’air. Vous avez très judicieusement remarqué qu’une aspiration soudaine changea cette nuit la direction du cyclone. C’était nous qui emmagasinions notre récolte de vent dans les caves profondes de notre sol. Le vent, c’est de l’air comprimé qui ne nous coûte rien, et que nous utilisons. »

Pendant que parlait cet homme extraordinaire, capable de commander aux vents et à la mer, notre barque s’amarrait à la digue d’un port plein de tumulte affairé.

LES VAGUES EMPLOYÉES POUR LE TISSAGE.

Cette digue même était chose curieuse et jamais vue. Les pentes n’étaient point faites de pierres de taille, mais de tôles mobiles sur un moyeu, qui faisaient bascule avec un bruit de ressort qui se déclanche, à chaque fois que la mer y déferlait.

« Vous voyez, nous dit notre guide, que nous savons même utiliser le mouvement des vagues de la mer. Chaque heurt de la lame sur ces plaques d’acier fait faire un pas à une roue dentée, dans un compartiment intérieur de la jetée. Le mouvement est transmis par un arbre de couche à un système d’engrenages et met en jeu automatiquement des métiers à tisser, dans ces jolies fabriques que vous voyez sur le rivage. La mer est la grande travailleuse qui ourdit nos vêtements, notre linge, la toile qui garantit des intempéries les végétaux dont nous avons besoin. »

Nous avions mis pied à terre et nous nous acheminions vers la ville.

L’homme poussa une porte.