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Lectures pour Tous

soudain, couraient vers la pâtée. Il régnait en ce lieu une chaleur particulière, toute semblable à celle que répand le duvet d’un édredon.

« Les paroles et les gestes des orateurs, les divers mouvements de la foule, me dit mon interlocuteur, produisent dans l’air des vibrations calorifiques qu’il eût été dommage de laisser perdre. Ces ondes vibratoires ont tendance à se disperser sans profit dans la salle dont elles n’augmentent que peu la température. Mais nous sommes arrivés, au moyen d’un petit appareil, à les faire converger sur ces couveuses qu’elles baignent d’une chaleur assez égale, d’environ 41 degrés. En sorte que, pour nous, le feu de la discussion n’est pas une simple métaphore. Et nous pouvons, sans remords, nous livrer les plus folles batailles de mots, risquer pour notre récréation les plus effrontés paradoxes. Une belle dispute, c’est l’espoir d’une belle couvée ! »

LA RECETTE DU PRINTEMPS ÉTERNEL.

On ne saurait vraiment dire jusqu’où allaient ces subtils inventeurs. L’agriculture requérait particulièrement leurs soins. Pour qui a pu contempler les riches vignobles étagés aux flancs du Vésuve, ce n’est pas un mystère que les alluvions volcaniques sont particulièrement propres à la végétation. Outre les plantations d’oliviers, l’île contenait aussi des vignes, des champs ensemencés en céréales, des jardins miraculeux, pleins en toute saison de fleurs et de fruits.

La région cultivée ressemblait à une serre immense. La chaleur et l’eau lui étaient distribuées à bon escient, et rien n’était livré au hasard. Un jardin ne recevait point d’averse au delà de ses besoins, et l’arrosage automatique corrigeait la sécheresse de l’air pendant les journées torrides. Il n’était pas rare qu’on eût des nuits froides, mais les cultures étaient maintenues à une température égale par des irrigations d’eaux thermales. De cette façon, était créé artificiellement le printemps éternel que les poètes ont chanté, et le même jour, en quelque saison que ce fût, on voyait à la fois s’épanouir les fleurs de mai et mûrir les fruits de septembre.

Mais cela n’est pas tout. Un certain physicien gascon découvrit, en décomposant par le prisme la lumière du soleil, qu’au delà du spectre coloré, au delà même des rayons ultra-violets du spectre sombre dont les propriétés chimiques sont connues depuis longtemps, il existe, en outre, des radiations d’une espèce particulière, capables d’accroître l’intensité des phénomènes vitaux, et cela dans d’extraordinaires proportions.

Ce nouveau Prométhée eut l’idée de capter les rayons solaires dans une énorme lentille, d’en extraire ces radiations vitales pour les répandre sur son verger. Au point où ses études étaient parvenues, l’expérience était déjà concluante. Le dispositif adopté ne manquait pas de beauté. Au-dessus des jardins, au sommet d’une tour élevée, un gigantesque disque convexe, à transparence de cristal, tournait sur un axe, par un mouvement d’horlogerie, suivant le cours diurne du soleil, et en concentrait les rayons sur un foyer éblouissant qu’on ne pouvait regarder sans en être aveuglé. Le brûlant faisceau de lumière perdait ensuite sa force sur un prisme qui répandait sur tout le centre du jardin toutes les couleurs de l’écharpe d’Iris. En ce lieu, on avait disposé des fontaines jaillissantes, pour la beauté du spectacle, car les eaux en semblaient de changeantes moires allant du rouge le plus vif au violet le plus épiscopal, et réjouissaient la vue en même temps que l’air en était rafraîchi.

Et quel n’était pas l’émerveillement, lorsque les regards se portaient sur la végétation ambiante ! Tout était calculé pour qu’y tombassent les radiations vitales de l’astre, et les végétaux y croissaient avec une exubérance de sève qu’aucun climat n’avait connue. Les orangers, dont le tronc avait sept à huit mètres de tour, fléchissaient sous le poids de pommes d’or grosses comme des pastèques ; des vignes enlacées à des ormeaux étalaient des grappes somptueuses dont les grains noirs et jaunes avaient le volume d’une moyenne orange. Il n’était pas jusqu’aux plus humbles graminées des pelouses qui n’eussent leur part de l’aubaine, et les fougères elles-mêmes secouaient des têtes chevelues, énormes comme les panaches des dattiers.

Il était grandement question de répandre dans toute l’île ce merveilleux mode de culture qui l’eût fait ressembler au Paradis de la Genèse et au jardin des Hespérides. Hélas ! il était dit que l’humaine industrie n’irait pas plus loin, et j’étais destiné à assister à la plus lamentable catastrophe qui eût, au cours de l’Histoire, découragé le Progrès.

LA VENGEANCE DE LA NATURE.

Un matin, qu’accoudé à la fenêtre de ma chambre, je respirais avec délices les senteurs balsamiques de la campagne, mêlées au rude parfum de l’Océan, je ne fus pas peu surpris de voir que le volcan était couronné de grandes écharpes de fumée. C’était comme quand la force de la vapeur, dépassant brusquement la limite des pressions tolérées, soulève le couvercle des