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l’association médicale

au combat à égalité, on saura que la victoire distribue des profits inégaux et nous allons voir cent factions s’entredéchirer, les plus violentes tyrannisant les autres et irritant les modérés par de perpétuelles surenchères. Des partis se feront et se déferont ; la corruption, la trahison, l’espionnage auront beau jeu. On ne peut pas faire que le passé n’ait été et il garde une force d’attraction ; chacun a préservé de la ruine un lot de traditions qu’il entend conserver en face des extrémistes qui en voudraient faire table rase. Le roi est une de ces traditions et Mâlik se joindra naturellement, au besoin contre ses serments, aux partisans qui le tirent en arrière ; ses concessions ne sont que de circonstance et révocables ; il est un prisonnier qui ne songe qu’à la fuite et à la revanche. Les Vieillards jouent double jeu. Bref dès demain c’est la dissolution, le chaotique bouillon de culture, le brassage des appétits, des déceptions, et des regrets, des audaces et des haines, une sacrée chimie du diable !

Dofre ricana.

— Comprenez-vous, continua-t-il, que la Pinède doit rester divisée ? Comprenez-vous que la violence des réactions est un atout dans notre main ? Que les Mangeurs-de-Viande et ceux que le mécontentement va grouper autour d’eux sont maintenant, plus que jamais, notre sauvegarde ? Jusqu’où irait-il, ce peuple uni et victorieux ? Ne lui donnez donc pas l’encouragement de votre présence et laissez la vendange bouillir dans la cuve.

La paix, en effet, dura peu. Une semaine passa et puis encore une autre semaine. D’après les renseignements que Dofre recevait des Vieillards et ce que nous pûmes voir de nos yeux, les espoirs du savant semblèrent tout à coup se préciser. Le fait est qu’on recommençait partout à se battre et qu’un important déplacement de population se fit vers la muraille de l’Est qui avoisinait le château.

Nous avions directement sous nos regards cette troupe grossissante ; c’était les partisans de l’ancien ordre de choses qui se réfugiaient ainsi tout près du séjour de la divinité, avec tous ceux qui étaient molestés par les nouveaux maîtres. Ils se retranchaient avec soin et s’organisaient rapidement. Nous les vîmes bientôt se livrer à un singulier travail : ils commencèrent à construire une digue sur la rivière, en un lieu où elle était encore fort étroite, soit qu’ils voulussent en détourner le cours, soit qu’ils prétendissent accumuler l’eau derrière le barrage pour la précipiter ensuite, comme un torrent dévastateur, contre Leucée où leurs ennemis s’étaient fortement établis ; il ne me fut pas donné de pénétrer leur dessein, parce que les événements en empêchèrent l’exécution.

Il est certain qu’ils différaient toute offensive, attendant le résultat d’une trame qui devait délivrer Mâlik et sa famille et les conduire au camp. Dofre se montrait tout heureux d’aussi grands préparatifs témoignant d’un plan nettement conçu par un commandement avisé. Nous n’ignorions pas, d’autre part, qu’en la plus grande partie de l’enclos où les vainqueurs populaires exerçaient leur pouvoir, le désordre et les querelles se reproduisissent. Il s’était formé une multitude d’opinions et une poussière de partis qui mutuellement se soupçonnaient et s’anathématisaient. Des paniques soudaines se traduisaient par des massacres. La vie, disait-on, n’était plus tenable. La caste des Vieillards, d’ailleurs justement suspecte de duplicité, subissait la persécution ou était contrainte de donner des gages de civisme et d’abdiquer tous les restes de son autorité traditionnelle.

Ces bruits étaient rapportés par des fugitifs qui venaient s’agréger à l’armée de résistance et Dofre qui les recueillait, à la chapelle, de ses informateurs ordinaires, les acceptait pour vrais sans plus les examiner, tant ils étaient conformes à son désir. Il était dans une période d’optimisme.

— Laissons ces foules, disait-il, s’entredétruire. Et cependant l’opposition prend de la force. Et nous reverrons l’ancienne sujétion régner sur la Pinède épui-