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l’association médicale

au-dessus des villages croulants, les crépitements d’élytres froissées qui traduisaient, dans l’éloignenient, les fanfares des buccins, eurent plus qu’auparavant tendance à se resserrer, sur le pourtour d’un cercle et dessinaient en quelque sorte un dé ces bourrelets inflammatoires que l’on voit sur la peau d’un visage brûlé par l’érysipèle.

Donc les attaques se systématisaient ; il se constituait un approximatif front de bataille circonscrivant une aire relativement calme, où du moins l’on n’apercevait que des cheminements de troupes noires, ainsi que des rayons obscurs projetés par un centre et s’y ralliant ensuite à la chute du jour.

Ce centre m’était caché par les frondaisons, mais je ne pouvais douter qu’il s’agît de la Colline des Supplices où les Mangeurs-d’Herbe avaient établi leur sacraire et leur forteresse.

Ainsi désormais presque toutes les colonnes insurrectionnelles partaient de ce point, traversaient des campagnes mortes ou gagnées à leur cause, pour s’en aller piller et ravager de plus lointaines bourgades et ramenaient leurs captifs et leur butin dans leur inviolable repaire.

N’était-ce pas un fait remarquable et nouveau, et le signe que quelque puissance directrice avait là son quartier général et commençait d’organiser la révolte ? Il n’en fallait pas plus pour faire hésiter la fortune des armes. Du jour où les Mangeurs-d’Herbe eurent un refuge, une base d’opérations, l’impunité leur fut à peu près assurée en attendant que les poussât l’audace des conquérants. Ce lieu d’asile exerçait une naturelle attraction sur tous les mécontents, sur tous les opprimés, sur tous ceux aussi qui savaient n’être pas sans reproche ou qui avaient à venger des injures personnelles. Même les pauvres de la Ville royale et les artisans molestés y émigraient avec leurs familles et il s’y créait, en somme, une capitale populaire opposée à la capitale du Prince.

Une telle scission ne pouvait se faire sans que la famine s’ensuivît. Au camp des révoltés, on avait désappris le labeur qui fait vivre et dans le parti adverse on n’avait jamais su que vivre du travail d’autrui. Assurément tout le monde n’était pas engagé dans la lutte. Même cette année-là, il y eut des bras pour la cueillette, pour la moisson, pour la transformation de la matière nutritive. Au pire moment des guerres civiles, on rencontre des gens qui s’étudient par peur des coups à faire également bonne mine aux deux partis, et ce sont ces timorés qui préparent tant bien que mal la nourriture de tous les autres.

Mais leur rôle neutre n’est pas longtemps soulènable et leur calcul est vite déjoué, car ils deviennent la proie des affamés de droite et de gauche et c’est finalement à leurs dépens et chez eux que se livre la bataille.

Chaque adversaire voulant manger et empêcher l’autre de manger, la lutte se concentre autour des greniers, dont les trésors sont répandus, gâtés avec colère. Après quoi, le propriétaire est ruiné et les combattants s’en retournent sous leurs tentes, à jeun comme devant et plus irrémédiablement, puisqu’ils ont