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l’association médicale

— Et Vana voudra-t-elle aussi m’aimer ?

Elle eut l’air étonné.

— Vouloir aimer… dit-elle lentement. Vana ne comprend pas. Quand tu la regardes, il fait jour ; quand tu te détournes d’elle, il fait nuit. Elle est malade de toi. Elle mourra de toi. Vouloir aimer… comment veut-on aimer ? Comment veut-on ne pas aimer ? Vana ne comprend pas. Elle est ta proie heureuse… Voilà !

— Heureuse, bien vrai, petite chose ?

Vana, blottie dans mes bras, me lança pour toute réponse un regard extasié.

— C’est que, continuai-je, l’amour que je t’offre est un désir douloureux et sans fin qui brûle sans s’éteindre. Regarde-moi : de mes deux mains, peu s’en faut que je ne couvre ton corps tout entier ! Mon baiser ne t’apporte ni l’apaisement ni la fécondité vers quoi toutes les femmes soupirent.

La jeune fille secoua sa tête blonde :

— Je m’efforcerai de devenir plus grande, dit-elle, pour comprendre ton esprit, ou plus petite encore, pour que ton cœur me contienne tout entière. Je serai glorieuse d’être inapaisée, parce que j’aurai choisi très haut l’objet de mon amour.

— Mais n’as-tu pas déjà connu ou ne désireras-tu pas d’autres délices que les hommes de ta race savent donner ?

Ma petite amie poussa un cri d’indignation et, campée toute droite sur un de mes genoux, elle parut défier le monde.

— Celle que tu aimes, dit-elle, ne s’assied pas à la table des esclaves. Vana est vierge. Vana mourra vierge !

Et voilà comment se firent nos épousailles.

Noces cruelles ! énervantes intimités ! Vana m’évoquait la Femme : elle en avait toutes les grâces. Mon affectivité inemployée se concentrait sur elle, à tel point — comment dire ? — qu’aucune vraie femme ne m’eût paru désirable à moins de lui ressembler trait pour trait. C’était mon bijou, mon joyau. J’aimais à me figurer` que j’étais la victime d’un songe et qu’un soudain réveil allait me montrer ma poupée grandie à ma taille et m’entourant de ses bras frais. Hélas ! un tel espoir était folie… À tout le moins, quand j’étais seul, des ardeurs me poussaient à la solliciter pour des jeux voluptueux auxquels elle se fut prêtée avec élan. Mais sitôt que je la voyais, sa petitesse et sa fragilité m’intimidaient. Même son entier abandon changeait la forme de mes désirs et les baisers dont je la dévorais ressemblaient à ceux que j’eusse donnés à une enfant trop jolie, mais religieusement respectée.

L’ignorante virginité de Vana la gardait sans doute de rapporter précisément à l’éveil de son sexe le délicieux tourment qu’elle éprouvait près de moi. Parce que son exclusive passion pour un Époux impossible lui donnait le mépris des mâles de sa race, elle se glorifia de sa chasteté. Mais alors que les satisfactions de l’amour normal eussent apporté le calme à sa chair, un jeûne ardent faisait chanter tout son être comme une harpe. Elle fut tout entière un sexe de bacchante. D’un regard, je la faisais trembler de la tête aux pieds ; pour un baiser, elle pâmait. Un jour, je détachai un maillon de la chaîne d’or qui retenait ma montre et je le lui passai au doigt en guise d’anneau. Le plaisir qu’elle en ressentit fut tel qu’elle eut un évanouissement.

Je la vis tous les jours pendant plus d’un mois. Mais à mesure qu’elle s’exaltait, le sang-froid me revint. Son amour tournait à la folie, le mien à la pitié. Bien que je ne me rendisse pas compte du changement insensible qui se faisait en mon cœur, je ne retrouvais plus, que les yeux fermés et loin d’elle, l’adorable vision qui m’avait séduit de la minuscule petite femme nageant dans la fontaine.

C’est que la virginité n’a qu’un instant d’éclat, après quoi il faut qu’on la cueille ou qu’elle se fane. Moniale de l’amour platonique, dévorée par cette sexualité qu’elle pensait dominer, Vana perdait sa poésie, sa fraîcheur et sa santé. Consciente de cet épuisement et d’une impuissance dont son désir désespéré s’accroissait, elle eût voulu, répétait-elle, m’offrir l’amour de toutes les femmes ; comme si, dans sa pensée confuse, ces créatures dussent lui faire la courte échelle pour monter à mon niveau.

Car, faute d’une possession effective, elle n’était pas jalouse, du moins au sens que nous donnons à ce mot. Elle se fût contentée d’être la mieux aimée.

Les graves événements dont la Pinède fut le théâtre vinrent interrompre notre idylle au moment même où, rien que par sollicitude pour ma petite amie dont la consomption m’effrayait, j’avais résolu de m’éloigner d’elle.

Si absorbée qu’elle fût en moi et si distraite qu’elle dût être lorsqu’elle quittait chaque soir le lieu solitaire de nos rendez-vous pour se joindre à la société de ses semblables, le mouvement populaire qui se déchaîna juste en ce temps-là n’avait pu lui échapper.

Il ne faut pas oublier que le peuple opprimé mettait en moi son espoir et que mon nom était mêlé à tous les murmures, à toutes les prières. Vana avait été élevée dans l’idée que j’étais le sauveur promis aux siens et, sans aucun doute, la fierté d’avoir été choisie mystiquement pour épouse par le Vengeur des faibles avait aidé à la cristallisation de son amour.

Au sortir de mes bras, dans le cercle étroit de sa famille, elle goûtait la joie d’entendre répéter avec adoration les litanies de son Amant. Il n’est point de femme si discrète qui, dans des cas analogues, résiste à la tentation de laisser entrevoir son secret. Et la preuve qu’on