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seins. Le soleil qui jouait sur sa peau la faisait odorer comme une fleur.

Brusquement, frénétiquement, je collai ma bouche sur sa fraîche nudité ; je la dévorai ; mes baisers nombreux et précipités la marbraient de rougeurs. Elle soupirait, se débattait. Une nouvelle et plus mystérieuse crainte assombrit ses yeux, pourtant implorants et soumis. Son visage était rosé par une flamme intérieure. J’atteignis ses lèvres et sentis sur les miennes comme le frémissement d’une aile d’abeille : elle me rendait mon baiser. Mais tout aussitôt elle glissa de mes genoux avec un cri et, saisissant au hasard le paquet en désordre de ses vêtements, elle s’enfuit si vite qu’elle avait déjà disparu dans le fourré avant que j’eusse eu seulement le temps de me lever pour la poursuivre.

Vainement je battis tous les environs. Je ne pus retrouver sa trace perdue. Sans doute avait-elle gagné quelque trou souterrain, quelque arbre creux inviolable pour un homme de ma taille.

Depuis ce jour, je ne cessai pas de rêver à la jolie fée. Rêves absurdes, à peine avouables. Cette obsession était-elle de l’amour ? Eh ! comment l’amour se définit-il ? Amour impossible, en tout cas, entre deux êtres si disproportionnés qu’un homme de sens rassis n’imaginera pas sans rire la passion qui faisait mon tourment. La Fable dit bien que Jupiter aima des mortelles, mais elle nous le montre capable de prendre des formes qui le mettaient à leur niveau.

Je devais, plutôt qu’à lui, me comparer à ces déshérités de l’amour normal qui reportent leur tendresse inemployée sur des enfants, sur de petits animaux ; mieux encore, à ces solitaires qui trompent l’attente sensuelle par des lectures irritantes, par l’amoureuse contemplation de tableaux et de statues. Toutefois la fine statuette sur laquelle se posait mon désir impossible était vivante et de nature à se prêter à des jeux assurément illusoires, mais rien moins qu’innocents.

L’idée ne m’en venait pas sans honte, mais je souffrais en y songeant. J’aurais voulu fouiller la Pinède dans tous les sens pour rechercher la chère poupée que j’avais bercée. Mais même en limitant au voisinage de la source le champ de mes investigations, comment — sans le secours d’un grand hasard — l’eussé-je trouvée dans la foule de ses pareilles, si son dessein avait été de se cacher à moi ?

J’allais tous les jours m’asseoir près de la fontaine, avec le secret espoir qu’un timide désir ou que la curiosité féminine l’y ramènerait. Ce n’était pas si mal raisonné pour un amant novice : si mon regard avait pu percer l’ombre des frondaisons, j’y aurais vu luire les beaux yeux de ma petite amie et constaté qu’elle venait en ce lieu aussi souvent que moi-même. Poussée par un instinct plus puissant que la simple curiosité, elle me guettait chaque jour d’un observatoire discret et me contemplait en silence. Les premières fois, elle eut follement peur d’être découverte ; et puis elle s’impatienta de ne l’être pas. C’est alors qu’elle eut l’idée d’une ruse gentille pour se révéler comme involontairement et par inadvertance.

J’étais penché distraitement au dessus de l’eau à quelques pas en aval de son refuge, lorsque mes regards tombèrent sur une fleur de sauge qui descendait le courant. Je n’y pris d’ailleurs pas garde. Mais une seconde fleur suivit la première, et puis une autre, et puis encore une autre… Des corolles d’espèces différentes, des rouges, des jaunes, des bleues, s’en allaient au ruisseau et, parvenues au plus prochain barrage de cailloux, s’arrangeaient devant l’obstacle comme une tapisserie multicolore qu’on eût vu naître point par point sur un canevas transparent. Au bout d’un instant l’étonnement me vint de tant de fleurs coupées et je me retournai machinalement, assez à temps pour surprendre la nymphe qui dépouillait ainsi la source de sa parure florale. Elle fit une exclamation à se voir découverte et plongea vivement dans les vagues de l’herbe. Mais comme je ne fis pas un mouvement pour la poursuivre — encore que j’en eusse grand’envie —, elle se montra de nouveau, timide et souriante.

— N’aie pas peur, petite fille, lui dis-je de ma voix la plus douce. Je suis ton ami. Viens !

D’un pas hésitant et baissant la tête, elle s’approcha. J’étendis les mains et l’attirai entre mes genoux. Une étoffe rude et grossière la vêtait chastement et dérobait presque complètement ses formes émouvantes. Elle n’était ainsi presque plus femme. Un tout petit visage, un corps frêle, un vêtement pauvre. De ma folie, il ne restait qu’un immense attendrissement.

— Sais-tu qui je suis ? murmurai-je.

Elle releva le front et ses yeux s’ouvrirent comme des corolles.

— Je sais que tu es mon seigneur, dit-elle. Celui-qui-lance-la-Flamme.

— Et toi, qui est-tu ?

— Je suis Vana, celle qui n’est rien du tout, qu’un peu de poussière sous ton pied.

— Et me croirais-tu, si je dirais que j’aime Vana ?

La jeune fille devint toute pâle et joignit ses deux mains devant son visage. Je les lui pris tendrement pour les écarter. Elle fermait les yeux.

— Dis… Me croirais-tu, si je te le disais ?

— Il y a des choses si grandes qu’elles paraissent impossibles, murmura-t-elle avec hésitation. Mais pourtant si tu le dis, je le croirai.

Vana se mit à trembler de tous ses membres. J’étreignis le joli corps. Son cœur d’oiseau bondissait. Et je repris tout bas dans la conque de son oreille :