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l’association médicale

LES PETITS HOMMES DE LA PINÈDE

Par le Dr Octave BÉLIARD
(Suite)[1]
CHAPITRE viii
L’Assemblée.

La Colline des Supplices, lieu désormais consacré, refuge du parti populaire dont nul Mangeur-de-Viande ne se fût approché sans risquer sa vie, abrita de son mystère de nocturnes réunions. Il me fut donné d’assister à l’une d’elles sans être aperçu, dans l’ombre portée par ma propre statue. Historien d’une existence singulièrement romanesque, je voudrais qu’il me fût permis de rompre le cours régulier de mon récit et, empruntant à l’art du romancier ses ressources dramatiques, de faire pénétrer à brûle-pourpoint le lecteur que je me suppose, au milieu de cette assemblée qui fut mémorable.

Des orateurs nombreux, des agitateurs s’étaient succédés, avaient fait une tribune de cet autel qui, étant aussi un tombeau, se prêtait également à l’évocation de la barbarie humaine et à celle du divin courroux. Frappant du pied la pierre funèbre et propitiatoire, ils avaient répété en des proportions réduites le geste de Virginius montrant à la fois la tendre victime du décemvir et le temple du Capitolin, vengeur des crimes.

Aux lueurs du buisson ardent de mille torches fumeuses, la foule couvrait la colline d’un grouillement vermineux, de noirs remous frissonnants. Et le murmure de cette multitude, modulé tour à tour par la curiosité, la douleur, la colère, prenait des valeurs musicales étranges, faisait penser à quelque chœur de drame antique aux paroles inentendues.

Maintenant, c’était Yona qui était debout sur l’autel.

— Mon frère Peuple, dit-il, les voix que tu viens d’entendre, les voix irritées qui parlaient de mort et de misères, de crimes et d’injustices, sont les voix d’un passé désormais éteint, du temps où Celui-qui-a-la-barbe-blanche ouvrait seul sur les hommes son œil lumineux. Que le bras me sèche, si je parle mal de Lui : car s’il a mis au-dessus de toi des hommes de sang, s’il a permis que les méchants jouissent d’une félicité précoce, tandis que tes pères ont attendu vainement, depuis les origines, l’exaltation et la paix, c’est qu’il te réservait l’avenir tout entier. Il suffit d’une saison pour que l’ortie vénéneuse atteigne plus de deux fois la taille d’un homme, mais la suivante saison la flétrit et la dessèche. Au contraire, l’amande du pin doit souffrir longuement que la terre pourrisse son enveloppe ligneuse ; ses radicules se fraient dans le sol un chemin laborieux, avant que ne s’épanouisse le premier sourire d’une lame verte au bout de la tige encore fragile. Mais l’arbre bienfaisant et sacré grandira toujours et survivra à d’innombrables générations.

« Tes tyrans sont, en vérité, comme l’ortie et toi comme le pin. Je t’annonce que le temps de leur dessèchement est venu et que tu vas enfin porter feuille. Un nouveau Maître s’est révélé, doux et terrible à l’image du Feu, sa préfigure que nos ancêtres ont vénérée au temps légendaire du grand Hiver. Il nous était annoncé dès l’aube du monde par le Formateur comme un jus-

  1. Voir l’Association Médicale, nos 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, année 1927 et no  1, année 1928.