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l’association médicale

petit être profondément assoupi en cette retraite, à un insecte dont la vie était entre mes mains, que je pouvais contraindre à m’adorer et qui peut-être fût mort de peur si brusquement j’étais apparu à ses yeux !

Lentement, sournoisement, je me laissai glisser jusqu’à terre et je fis à pas de loup le tour du Palais. C’est miracle si je ne fus pas vu, si l’alarme ne fut pas donnée… ou plutôt, c’est que le Palais n’était point gardé. Le Souverain se fiait à ses murailles assez épaisses et assez hautes pour le défendre contre les hommes de sa taille. Si j’avais pu passer, c’est que j’étais un Dieu.

La demeure de Mâlik — les rois ont parfois la coquetterie de la simplicité — était beaucoup plus sobre d’ornements que celles des autres Chasseurs. Les murs n’en présentaient aucune sculpture, aucun coloriage. Mais ils avaient plus de force et de solidité. Les maisons voisines, du reste beaucoup plus petites, avaient l’air de jouets fragiles et neufs. Au contraire, l’emblématique palais faisait bien augurer de la durée du pouvoir absolu… On en disait jadis — il est vrai — autant de la Bastille !… Enfin, la Maison du Roi, cubique comme un dé à jouer, percée d’ouvertures austères et sans fantaisie, décevait l’œil. Toutefois un péristyle fait de troncs de pins robustes et rapprochés lui donnaient l’aspect héroïque que l’on suppose avoir été celui de l’habitation des brenns et des guerriers francs. Et ce roi devait tirer de l’orgueil d’un logis dont l’aspect primitif témoignait de l’ancienneté — relative — de sa race.

Mais si Mâlik vii dormait ici, qui donc dormait dans cette autre maison, de beaucoup plus imposante, dressée, toute noire, à la proue de l’île ? Était-ce un lieu public ? un lieu d’assemblées ? Mes pas curieux m’y portèrent à travers les rues sombres dont, je dépassais, de tout le buste, les édifices.

Oui… ce devait être une Halle. J’en voyais la porte sans vantaux ouverte largement. On pouvait y pénétrer librement et sans courber le front. Une faible et vacillante luminosité en éclairait l’intérieur.

J’approchai, hésitant et tout à coup timide. Pour me donner le temps de la réflexion, je bourrai une seconde pipe et en tirai quelques bouffées… Après tout, si j’y jetais un regard du dehors, où serait le risque ?

La lueur tombait de la voûte où pendaient des veilleuses de verre dépoli dégageant une forte odeur avec des crépitements de résine brûlée. Et je reculai soudain.

Sur une estrade, tout de son long couché, un homme de ma taille semblait dormir. Il était vêtu de peaux de bêtes cousues. Ses pieds, dirigés de mon côté, affleuraient presque l’ouverture de la porte et son grand corps emplissait tout l’édifice.

Je n’étais pas préparé à cette découverte. Dans cette ville fantastique et légendaire, il y avait donc aussi des géants ? Dois-je avouer que j’en fus plus heureux encore que surpris ? Je rencontrais un semblable. Un ogre peut-être, mais qu’importait-il, puisque je n’avais rien du petit Poucet ?… Et d’ailleurs il dormait… Qui pouvait-il être ? Le vieux Barnabé, serviteur fidèle du docteur, n’entrait jamais dans la Pinède. Et…

Tout à coup, le cri de surprise que j’avais retenu devant les plus singulières de mes découvertes jaillit de ma poitrine. L’homme couché là, c’était Dofre, Dofre lui-même, avec ses cheveux bouclés et sa barbe blanche de démiurge. Je me précipitai, je le saisis aux deux mains.

— Voyons ! voyons !… Que signifie ?…

Mais mon geste s’arrêta net : j’avais touché une statue. Ce n’était pas Dofre, mais son effigie. Alors je me frappai le front, comprenant subitement que j’étais dans le temple.

De petits cris aigus me répondirent, Trois minuscules figures que je n’avais pas aperçues, cachées qu’elles étaient derrière l’autel du dieu, se relevèrent effarées, puis s’abattirent contre terre avec les signes de la plus vive terreur. Mes exclamations avaient réveillé les adorateurs assoupis dans leurs prières. Ils étaient là, petits bouts d’hommes, poupées vivantes, gémissant sur le sol, n’osant plus lever les yeux sur la terrible vision. J’étais découvert. Il fallait fuir. Dans quelques instants