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l’association médicale

buée laissait transparaître des enclos semblables, de semblables cultures et d’inégales taupinières soulevées comme les tombes d’un humble cimetière de campagne. C’était un village.

Au centre, une masse plus grande m’attira et je l’abordai avec précaution en suivant les étroits passages ménagés entre les habitations. C’était, au prime abord, une assez vaste cuve carrée longue et large d’une dizaine de pas, édifice considérable proportionnellement aux autres. En éprouvant de l’ongle la consistance de la paroi, je constatai qu’elle était semblable à un grès très dense. Sa hauteur égalait sensiblement la mienne. Je me hissai sur la cuve et fus émerveillé de voir que, lisse au dehors comme un mur, elle présentait au dedans l’aspect d’une cour entourée de bâtiments à deux étages relativement spacieux et élégants, propres à loger — à mon évaluation — plusieurs dizaines des petits êtres que M. Dofre m’avait décrits. Le gros œuvre en était fait de la même composition dure que la muraille extérieure à laquelle ces habitations s’adossaient ; mais de nombreux ornements en bois travaillé en garnissaient les ouvertures ; les toits étaient recouverts de lamelles de mica imbriquées et luisantes.

Pour mieux examiner le détail, je me penchai un peu plus et promenai une allumette sur les sculptures les plus rapprochées. Les linteaux des portes et des fenêtres, d’une architecture étrange mais non pas sans logique, étaient ouvrés en figures d’hommes, d’animaux et de plantes, d’un art tourmenté et charmant. Je retenais des interjections de surprise et fusse resté longuement devant cette petite merveille, si un léger bruit ne m’avait averti que ma présence, et les mouvements que je ne savais réprimer, causaient quelque trouble dans cette demeure endormie. Craignant d’être aperçu, je m’éloignai et fis de grands détours pour reconnaître la percée qui donnait accès de l’extérieur dans un château si bien protégé des regards. Je la découvris, mais ne m’en approchai point, supposant que des veilleurs y étaient apostés. C’était un huis monumental, au-dessus duquel pendait, pour tout ornement, un crâne de chouette.

Il n’en fallait pas tant pour révéler lecburg fortifié et inabordable d’un chasseur — le mangeur-de-viande dont tout ce domaine de fermes pauvres et basses était le fief.

Au loin, l’œil du phare semblait scruter mes étonnements. J’avais marché une heure dans la nuit fraîche. Le temps ne me faisait pas défaut ; pourtant, sachant qu’aux premières rougeurs de l’aube, ces étendues maintenant mornes et désertes se meubleraient de multitudes, je voulais hâter mon exploration. Et la lune couchée rendrait mon voyage plus difficile. Je m’enfonçai sous bois. Là encore, plus j’avançais, plus les habitations se faisaient serrées. J’avais reconnu celles des laboureurs, surgies de la terre ; je rencontrai celles des forestiers, simples clayonnages adossés aux fûts des arbres, ou même colombiers aimablement suspendus par des fils aux plus basses branches, qui balançaient aux vents leurs boîtes hermétiquement closes d’écailles imbriquées. Et toujours la maison du chasseur spacieuse et ornée dominait les autres. Ici ces demeures seigneuriales étaient de bois, mais de bois lourd, scié à même le tronc vif, assemblé par de délicates charpenteries. Elles ressemblaient à des beffrois, et l’on n’y accédait que par des échelles retirées la nuit. Ce luxe de précautions disait assez que cette caste, n’ayant pas su régner par l’amour, se soutenait par l’artifice. Là où les hommes auraient pu vivre égaux en s’entr’aidant de leurs individuelles industries, ils avaient comme partout suivi leur nature ambitieuse et fait régner le soupçon avec la crainte.

Les huttes plébéiennes étaient, au contraire, ouvertes à tout venant, la pauvreté apportant avec elle la sécurité. Ces homoncules savaient-ils déjà que la misère rend frères et solidaires ? Dans une de ces maisons sans porte, mon regard put se poser sur la couchette d’herbe sèches où un petit corps soupirait, ensommeillé. Je ne vis pas les traits du dormeur. Mais sur une table-joujou, à