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l’association médicale

LES PETITS HOMMES DE LA PINÈDE

Par le Dr Octave BÉLIARD
(Suite)[1]
CHAPITRE iv
Première visite à La Pinède.

La porte refermée avec un cri désagréable, j’étais seul dans une épaisse obscurité toute pleine de l’odeur âcre et saine de la résine. Mes pas faisaient craquer les aiguilles sèches. Pas un bruit, pas une lueur qui pût me diriger dans ces grandes étendues boisées.

Des oiseaux nocturnes me caressaient le visage de leurs ailes silencieuses comme de laine, et leurs hululements faisaient sentir le silence. Au hasard, je pris un sentier. Quand je me retournais, la flamme amicale du phare, que les frondations éteignaient par intermittences, m’encourageait. J’avais peur de heurter dans l’ombre quelque merveille créée par l’ingéniosité des Petits Hommes ; peur d’eux aussi que je ne connaissais pas. De loin en loin, le pelage hirsute de la forêt s’éclaircissait brusquement. La lande, étouffée par les pins, reprenait là de grandes étendues lunaires, poussait ses bruyères grosses comme des arbustes, se creusait de flaques d’eaux miroitantes. L’humus redevenait frais et herbu, et mes pieds marquaient profondément leurs traces dans la boue grasse imprégnée des senteurs balsamiques des sauges et des menthes. Je marchais alors dans le coton léger d’un brouillard à ras de terre ; mon passage soulevait des cohortes de moustiques, bruyants comme des violons qui s’accordent et dont je sentais comme de minuscules chiquenaudes les heurts affolés contre mes joues. Puis, insensiblement, le sol se durcissait et remontait ; des fourrés d’ajoncs et de ronces pleins de tressaillements obscurcissaient le sentier, et les hautes colonnes des pins montaient toutes vives comme les piliers d’une cathédrale entre lesquels le vent jouait de l’orgue. Et la forêt me happait de nouveau, jusqu’à de nouvelles clairières que j’abordais avec un soupir d’aise.

C’est dans une de ces clairières que je trouvai les premières traces humaines. Probablement, j’étais passé déjà devant bien des traces semblables sans y prêter attention, tout étant également morne et couleur de terre ; mais, cette fois, il n’y avait pas à douter : ce tertre qui se dressait devant moi, semblable à une hutte de termite, était bien une demeure. Pauvre maison de boue séchée et mélangée à un hachis de paille, avec un trou de lapin au ras du sol et, au sommet, un cratère noir de suie ! C’était haut d’un mètre environ, et globuleux, couvert d’herbe folle : à peu près les dimensions d’une tombe. Et quand je mis l’oreille à l’orifice supérieur, j’entendis le murmure léger de plusieurs respirations enfantines. Autour, il y avait des vallonnements, d’autres soulèvements de terrain, silencieux, ceux-là. Et, épars sur le sol, de chétifs instruments de bois, d’usage imprécis, parmi lesquels une branche polie et fourchue, dans l’angle aigu de laquelle était lié un silex pointu souillé de terre : peut-être une misérable charrue…

Ce que je voyais était une ferme évidemment, une ferme sans gloussements, sans meuglements, sans abois, une ferme pour pygmées. Et sous la lune, l’humus apparaissait, jusqu’aux bouquets de bruyères géantes qui cernaient le minuscule domaine, rayé par les striations régulières des semis.

Et je levai les yeux. Dans toute la clairière, la fine

  1. Voir l’Association Médicale, nos 6, 7, 8 et 9.