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ardemment leur vie dans les aventures. Le prestige du danger couru les désignait à la sympathie des masses.

« On désertait les lieux de prière pour les voir lutter entre eux, remonter en nageant le courant rapide de la rivière, escalader la cîme des arbres. Ils étaient orgueilleux et farouches, querelleurs et avides de sang. Ils accueillaient l’occasion d’un homicide comme une joie ; tuer un adversaire en luttant contre lui leur paraissait particulièrement glorieux. Mais ils s’attaquaient plus ordinairement aux animaux de ia forêt, ce qui leur avait fait donner le nom de Chasseurs.

« La Pinède est un excellent territoire de chasse. Les oiseaux de proie et de rivage, les passereaux comestibles y abondent. La broussaille foisonne de lapins ; les lièvres gîtent dans les clairières, et l’enceinte est si vaste que quelques familles de chevreuils et de sangliers qui y vivaient séculairement avant la construction du mur ne se sont pas aperçues de leur emprisonnement et se sont perpétuées jusqu’à ce jour.

« Les Chasseurs se firent des frondes, des arcs, surprirent des oiseaux dans leur vol, les tuèrent et les mangèrent. En vain les Vieillards, ennemis de toute nouveauté, s’élevèrent-ils contre ces attentats ; en vain convainquirent-ils d’impiété ceux qui s’attaquaient aux créatures vivantes et se repaissaient de leur sang. Quiconque a goûté de la chair ne veut pas d’autre nourriture. Une croyance, qui n’est peut-être pas dénuée de fondement, veut que, si l’austérité et la nourriture végétale affinent l’esprit, la viande fasse les hommes nerveux, robustes et sauvages. Les Vieillards, voyant leur sagesse dédaignée pour la force physique et leur souveraineté mise en péril, changèrent sensiblement d’attitude vis-à-vis des Chasseurs. Ils avaient ordonné d’abord ; ils ne se risquèrent bientôt plus qu’à des remontrances et, pour sauver une façade d’autorité, firent semblant de ne pas voir des manquements qu’ils n’auraient pu empêcher. La lutte entre les deux partis, celui de la force et celui de la sagesse se poursuivit, avec des phases diverses. Tantôt, l’autorité traditionnelle reprenait le dessus et infligeait à des Chasseurs turbulents de terribles humiliations ; tantôt la brutalité d’un Chasseur poursuivait les sacrificateurs, nonobstant leur caractère sacré, jusqu’au seuil du sanctuaire.

« Le peuple, entre les deux puissances en lutte, le peuple des humbles et des faibles hésitait ; il ne faisait que naître à l’intelligence et n’était point encore conscient d’être lui-même une force. Il respectait les Vieillards par tradition, mais penchait naturellement du côté des Chasseurs, d’autant plus que tout homme adroit et hardi pouvait devenir lui-même un Chasseur, au moins en ce temps-là. L’opprimé se consolait de sa misère : il dépendait de son courage, de son audace qu’il fut promu au rang des oppresseurs. À ce concours, tous étaient candidats. Que le plus inconnu de tous les hommes fût vainqueur d’une lutte ou perçât de ses traits un lièvre rapide, aussitôt, de par ce haut fait, il devenait un notable avec qui il fallait compter.

Pour le peuple douc, l’orgueil et la brutalité des Chasseurs, qui étaient des héros élus par son admiration, étaient plus supportables que la discipline sévère et régulière imposée par les Vieillards, caste fermée se recrutant d’elle-même et sans l’assentiment populaire. Il allait alternativement grossir la puissance de l’un ou l’autre parti, suivant que l’un ou l’autre avait l’avantage. On se servait de lui ; il s’ignorait.

« Un événement vint bouleverser cet état de choses. Les Chasseurs avaient fondé leur renom sur la capture de proies inoffensives, en somme. Les sangliers — du reste, assez rares — bêtes monstrueuses et cruelles, défiaient impunément le courage des hommes. Paisibles lorsqu’on ne les attaquait point, ils inspiraient une terreur insurmontable depuis qu’ils avaient décousu de téméraires agresseurs. Les faibles armes de trait que les Nains s’étaient faites se brisaient sans effet sur leur cuir épais, et l’animal irrité revenait sur le Chasseur forcé de fuir. D’aucuns avaient perdu la vie dans ces combats inégaux. Il fut admis que les sangliers étaient un fléau du même genre que le froid et l’incendie, un fléau contre lequel l’industrie humaine n’avait pas prise ; et l’on consentit, faute de pouvoir s’en libérer, à la dîme que prélevaient sur les racines et les plantes comestibles des animaux qui savaient si bien se faire respecter.

« Or un Chasseur du nom de Mâlik, dont la bravoure était au-dessus de toutes les terreurs et dont l’adresse était proverbiale, résolut d’accroître sa renommée en combattant les monstres. Il s’embusqua dans un fourré