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l’association médicale

Et le Docteur, fouillant sa poche, en fit sortir une sorte de papier roulé, semblable à une très grosse cigarette et tout couvert de caractères. Je le saisis et me penchai pour que la lune y dardât un rayon.

— Mais… c’est un livre, m’écriai-je.

— Tout justement. Les Petits Hommes écrivent des livres et ces annales de leur science et de leur pensée me les dévoilent tout entiers.

— Dans quelle langue est-ce écrit ?

— Dans la langue même que nous parlons et que je leur ai apprise au début. Elle a bien subi quelques déformations, mais pas essentielles. Quant, à l’écriture, ils l’ont inventée en adoptant une orthographe phonétique. Je la lis couramment. Justement, ce rouleau est uu cours d’histoire et pourrait vous intéresser à ce titre, bien qu’il contienne une foule d’erreurs et de jugements partiaux, ainsi, du reste, que tous les cours d’histoire. Vous aurez une idée plus exacte des événements si vous me permettez de vous les résumer moi-même.

— Je vous en prie.

— Vous savez déjà, par ce que je vous ai dit, que les premières semences de vie sociale ont été répandues par les Vieillards. À l’origine, le Père était le chef incontesté de la famille. Outre que c’était son droit naturel, le fait d’avoir directement reçu mes enseignements, de m’avoir plus intimement connu, de tenir de son antériorité une plus longue expérience, suffisait à lui assurer l’autorité. Mais ses fils qu’il avait initiés aux traditions, fondaient incessamment de nouvelles familles et les gouvernaient de la même façon, en monarques absolus. Les groupements de formation plus récente échappaient ainsi peu à peu à la suprématie des Anciens, s’érigeaient en tribus indépendantes, sans unité directrice. Il y eut des luttes pour la terre, pour l’aliment, pour l’amour, des querelles sanglantes entre les tribus ; et grâce à ces querelles, des individus prirent conscience de leur force physique. L’autorité de l’âge en fut partout ébranlée : on ne suivait plus le Père, représentant de la Divinité, mais les champions qui s’étaient fait craindre. L’anarchie la plus complète régna bientôt et désorganisa les familles.

« C’est à ce moment que l’incendie vint apporter aux Petits Hommes une révélation nouvelle de cette puissance divine dont ils avaient oublié ou méconnu l’importance. Les partisans de l’obéissance aux Vieillards en furent multipliés et ceux-ci surent profiter de l’occasion pour se réunir et formuler des Lois que je leur avais inspirées. Désormais, ils gouvernèrent en mon nom, et nonobstant de fréquentes révoltes, les multitudes soumises. Dans tout le pays il n’y eut qu’une même foi, une même loi.

« Les Vieillards, pour ne pas laisser s’affaiblir leur autorité, s’organisèrent un mode de recrutement par choix et initiation. Ils fondèrent des collèges où l’on formait des hommes de gouvernement, des savants et des artistes qui s’obligeaient à une stricte discipline. Si bien que tout pouvoir passa aux fraternités régulières, aux groupements de ces individus dont l’âge cessa d’avoir une importance quelconque. Et la dénomination de Vieillards, détournée de son sens, ne s’appliqua plus aux Anciens, mais à cette caste traditionnaliste d’hommes pieux qui gardaient pour eux tous les monopoles et se donnaient, avec mon consentement tacite, pour mes représentants.

« Cette théocratie forte et consciente gouverna un temps sans compétitions et son règne fut fécond en institutions heureuses. Mais l’exercice du pouvoir absolu finit par la corrompre et son traditionnalisme, qui faisait obstacle aux nécessaires mutations de la vie sociale, fut aussi l’une des causes de sa décadence.

« L’ancien goût pour la force physique, l’admiration populaire pour le Muscle héroïque n’avaient pas décru. Le nombre augmentait insensiblement des hommes qui, tenus à l’écart des travaux intellectuels par la caste des Vieillards qui en avait le monopole, dépensaient leur activité en des exercices d’adresse et risquaient