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l’association médicale

lisme inutile. Avec ces vies privilégiées on enjambe les siècles. Et ils n’ont pas à redouter ces invasions et ces guerres qui noient les sociétés sous des flots de barbarie et obligent à reconstruire l’édifice sur des ruines.

— N’ont-ils pas de discordes civiles ?

— Je vous demande pardon. Un peuple qui vit est un peuple qui se querelle. Mais la guerre civile, si désolante à un examen superficiel, est la seule guerre qui comporte des bénéfices. Elle est un facteur de progrès. C’est elle qui trempe et fait grandir l’âme des nations et l’achemine vers une plus grande conscience et une plus grande justice. Les révolutions, a-t-on dit, sont le labourage de Dieu.

— Vous me voyez disposé à croire que ces Nains sont déjà nos égaux à de nombreux points de vue, qu’ils disputent aussi subtilement que nos philosophes et que leur esthétique vaut la nôtre. Ce sont, en effet, des choses qui doivent peu à la longueur du temps et que nous n’avons pas fait progresser depuis l’Égypte et la Grèce. Mais je ne puis supposer qu’ils nous suivent d’aussi près et gagnent autant de terrain dans le domaine des conquêtes scientifiques. Je serais fort humilié que cette peuplade eût, comme en se jouant, découvert la vapeur et l’imprimerie, l’aérostation et le télégraphe, qui nous ont coûté tant de siècles et méditations.

— Je ne vous contredirai pas. Nous assistons ici au développement d’un monde en raccourci qui ne retrace notre évolution que dans ses grandes lignes ; le détail diffère. La plupart des inventions dont notre humanité se félicite n’auraient pas même valeur au regard de ces petits personnages vivant dans un espace restreint, qui n’ont pas tous nos besoins, de même qu’ils n’ont pas toutes nos ressources. C’est le besoin qui fait l’inventeur et, ici, le besoin a souvent manqué ou fut différemment exprimé. La curiosité scientifique ne fait pas défaut à mes sujets et leurs mathématiques, pour partir d’autres principes que ceux d’Euclide, n’ont rien à envier aux nôtres en profondeur et en exactitude. Ce sont des chimistes très avisés, plus avisés que nous, puisqu’ils prétendent décomposer l’atome et transmuer les métaux. La plupart des principes de la physique leur sont familiers. Mais, et c’est en cela qu’ils diffèrent de nous, ils n’en ont pas toujours tiré les mêmes applications. S’ils font usage du microscope, de la pompe, du soufflet et d’autres objets que nous connaissons, ils ignorent la plupart de nos instruments usuels et en possèdent plusieurs que nous ignorons. C’est ainsi que, par un dispositif que je n’ai pas encore compris, ils ont le pouvoir d’utiliser l’énergie magnétique et que leur médecine paraît réussir avec des moyens d’une étonnante simplicité. En général, ils n’ont pas notre goût pour la machinerie. Peut-être sont-ils gênés par la pénurie des matières premières et particulièrement des métaux qu’ils ne peuvent extraire qu’en faibles quantités de ce terrain, sauf toutefois l’aluminium qui a pris pour eux l’importance du fer et qu’ils séparent facilement de ses composés. En résumé, ils sont à la fois en deçà et au-delà de nous et, dans leurs mains, l’outil le plus barbare voisine avec quelques instruments si délicats que notre race ne les a pas encore construits.

— Vous semblez les avoir observés de très près ; Comment avez-vous pu le faire sans entrer dans leur vie et en gêner l’expansion ?

— À la vérité, du haut de ce phare, je ne suis que les mouvements de leurs masses, qui sont d’ailleurs du plus puissant intérêt, comme les mouvements d’un groupe d’infusoires dans une goutte d’eau, d’une république d’abeilles autour d’une ruche. Mais aussi, j’apparais volontiers au milieu d’eux, je me promène dans la forêt, je plonge mon regard dans les demeures. Les Petits Hommes qui me vénèrent comme un Dieu me rendent grâce de cette sollicitude silencieuse et peu gênante. Puis il m’arrive de convoquer les Vieillards à des assemblées où je les interroge habilement en ayant l’air de les conseiller. Enfin, pour me tenir au courant des événements de la Pinède, j’ai encore et surtout ceci.